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minution du contingent militaire consentie de bon cœur par le maréchal Le Bœuf. Le ciel politique semble vraiment au beau fixe, lorsque retentit le 6 juillet la déclaration de notre ministre des affaires étrangères contre la candidature d’un prince prussien au trône d’Espagne, — candidature offerte par le général Prim, acceptée par le prince Léopold de Hohenzollern, sanctionnée par l’autorité souveraine du roi de Prusse. Ici le gouvernement français frappe un peu fort, nous en convenons, parce que visiblement il est réveillé en sursaut, parce que d’une part il ressent comme une injure le secret que l’on a gardé vis-à-vis de lui, et que d’autre part il est pressé par la réunion imminente des cortès espagnoles, dont le vote peut achever de compliquer les choses ; voilà la grande cause du mal : il fallait aller vite, sous peine de se trouver en présence du fait accompli. À dater de ce jour, tout se précipite. Les négociations s’engagent un peu confusément. Notre diplomatie est obligée de courir de Berlin à Ems, où se trouve le roi Guillaume ; l’Europe prend l’alarme à son tour. Lord Granville, avec un empressement généreux, porte de l’un à l’autre des paroles de paix et cherche un moyen de conciliation. L’empereur de Russie écrit au roi Guillaume pour lui demander de donner l’ordre au prince de Hohenzollern de renoncer à sa candidature. Un instant, la crise semble s’adoucir par le désistement plus ou moins spontané du prince Léopold, et par la renonciation de l’Espagne elle-même à la candidature imaginée par le général Prim ; mais c’est une éclaircie passagère, équivoque, qui n’a d’autre effet que de mettre hors de cause l’Espagne et son candidat, sans supprimer le conflit entre la France, qui d’heure en heure devient plus pressante, et la Prusse, qui élude. On veut tout au moins avoir du roi Guillaume l’assurance que cette candidature ne se reproduira pas. Neuf jours sont à peine écoulés, le 15 juillet le gouvernement français se présente de nouveau devant les chambres pour déclarer qu’on n’a rien obtenu. Non-seulement on n’a rien obtenu, mais le roi Guillaume a fini par refuser de recevoir l’ambassadeur de France, M. Benedetti, en lui signifiant par un aide-de-camp qu’il n’a plus rien à lui dire ! Le bulletin de ce refus a été publié avec ostentation à Berlin, et le cabinet prussien s’est hâté d’informer ses représentans dans les cours européennes de la façon dont il a reçu les réclamations de la France. Moralement tout est fini, le 15, et le 19 la guerre est régulièrement déclarée.

Dès ce moment, la diplomatie n’a plus rien à faire. La fièvre belliqueuse s’empare de tous les esprits, la nation tout entière ressent la commotion électrique, et oublie ses dissensions pour n’avoir plus qu’une pensée unique, pour se porter d’un même cœur et d’un même élan à la grande lutte. Des deux côtés, toutes les forces dont on dispose sont poussées vers cette frontière si souvent disputée. Tandis que la Prusse hâte la mobilisation de ses troupes et somme les états de l’Allemagne du sud de se joindre à elle, l’armée française, frémissante et enflammée, se