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invoquer le plus sincèrement du monde les conditions de Prague, le premier ministre du roi Guillaume nous jetait comme un défi ces traités militaires qu’il n’avait plus aucune raison de garder secrets. Disons le mot, avouons-le sans fausse honte, il nous mystifiait en nous montrant qu’avec nos bons offices nous avions travaillé pour le roi de Prusse. M. de Bismarck aime les coups de théâtre, et toutes les fois qu’il a pu les renouveler, il l’a fait, sans s’apercevoir que ces procédés peuvent avoir un succès apparent et momentané, mais qu’ils tournent bientôt contre celui qui les emploie. Toute sa politique, il l’a mise dans la force et dans l’astuce déguisées sous cet entrain de gentilhomme sans scrupules qui se croit tout permis pour réussir, qui est toujours prêt à jouer la destinée de son pays comme sa propre destinée dans une aventure. De tous les hommes d’état qui ont eu un nom dans notre temps, c’est assurément le plus révolutionnaire dans le mauvais sens, et plus que jamais c’est encore une question de savoir s’il aura été un politique supérieur ou un aventurier, s’il a servi son pays ou s’il ne lui a pas préparé quelque effroyable désastre.

Au lieu de travailler à la transformation de l’Allemagne par la liberté, il n’a connu, il n’a employé que la conquête et la violence ; au lieu de songer à rendre la grandeur nouvelle de la Prusse compatible avec les justes susceptibilités de ses voisins, avec la sécurité de l’Europe, il n’a eu qu’une préoccupation : asseoir cette grandeur sur la force, annexer pour avoir des soldats, mettre « l’Allemagne en selle » sans doute pour la conduire quelque part, créer en un mot au centre de l’Europe un camp de 1,200,000 hommes. Le résultat le plus clair et le plus criant de cette politique, c’était pour tous les autres la nécessité de s’armer à leur tour, de se mettre en défense. C’est là précisément ce que M. Thiers montrait, il n’y a pas encore un mois, à la veille des événemens actuels, lorsqu’il défendait le contingent militaire de la France, qu’il aurait voulu accroître plutôt que de le diminuer. Que disait M. Thiers ? Qu’il ne fallait pas bercer le pays d’illusions en lui laissant croire que nos armemens avaient quelque chose d’extraordinaire, que tout était changé en Europe depuis quelques années, que maintenant, « à la place d’une Allemagne fédérale organisée pour la paix, toute-puissante pour la défense, impuissante pour l’attaque, il y avait une puissance militaire formidable, » ayant à sa tête un homme qui était aujourd’hui à la paix, — on le croyait encore, — mais qui disposait directement ou indirectement de 40 millions d’hommes. M. Thiers montrait avec une netteté décisive qu’il n’y avait pas même à compter sur un désarmement de la Prusse, parce que pour cela il ne suffirait pas que la Prusse réduisît son armée, il faudrait qu’elle brisât la confédération du nord, qu’elle renonçât à ses traités avec la Bavière, avec Bade, avec le Wurtemberg. « Cette confédération, ajoutait-il, ces traités, voilà son armement ; elle ne s’en dépouillera pas. » N’est-ce point là justement cette situation de défi, de provocation permanente, dont