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aux confidences de M. de Bismarck, et elle s’est mise dans le cas d’avoir paru proposer ce qu’on lui avait mille fois suggéré. C’est un petit malheur ; seulement M. de Bismarck n’a point réfléchi que s’il réussissait à mettre en lumière l’ingénuité de notre diplomatie, il jouait gros jeu pour lui-même, car enfin qui voudrait désormais traiter confidentiellement avec lui ? Nous nous souvenons qu’un jour, aux débuts de la guerre d’Orient, l’Angleterre fut conduite à divulguer les conversations secrètes qui avaient eu lieu entre l’empereur Nicolas et l’ambassadeur britannique, sir Hamilton Seymour ; mais dans quelles circonstances se fit cette publication ? Il fallut une provocation directe venant de Saint-Pétersbourg, un soupçon jeté légèrement sur l’honnêteté de l’Angleterre. Jusque-là, le cabinet anglais avait gardé le silence le plus scrupuleux, il n’avait rien communiqué même à la France son alliée ; encore ces conversations étaient-elles d’une authenticité et d’une exactitude reconnues par l’empereur Nicolas lui-même. Jusque dans une indiscrétion devenue nécessaire, et qui ne pouvait que lui profiter, l’Angleterre montrait la plus parfaite mesure. C’est ainsi que procède un grand et sérieux gouvernement. M. de Bismarck, lui, fait d’un ton dégagé son espièglerie tudesque, il promène dans les journaux des chiffons de papier arrachés par subterfuge à l’honnête confiance d’un de nos diplomates écrivant sous sa dictée, — et ces fameux papiers révèlent que la France aurait demandé à la Prusse la cession de la Belgique ! Qu’on ait parlé quelquefois de la Belgique, voilà en vérité un grand secret. Qui donc ignore dans la diplomatie qu’il fut un temps où c’était justement M. de Bismarck qui disposait ainsi sans façon de cette pauvre Belgique ? Il promenait ses offres partout, à Biarritz et à Paris ; il pressait le gouvernement français de mettre la main sur ce « nid de démagogues, » — bien entendu à condition qu’on le laisserait faire de son côté, et il suffit de la moindre réflexion pour comprendre d’où pouvait venir une telle initiative. Que ce soit après ou avant Sadowa, — et les offres ont été faites après comme avant, — la question n’a pas plus de valeur. Imagine-t-on la France sollicitant la Belgique de M. de Bismarck, à qui elle n’appartenait pas, en laissant à la Prusse l’Allemagne du sud ou la Hollande ! Imagine-t-on la France offrant à la Prusse 300,000 hommes, lorsqu’il est connu de tout le monde aujourd’hui que, malheureusement enchaînée ou épuisée par le Mexique à cette époque, elle ne pouvait pas même réunir une armée suffisante d’observation vers le Rhin ! Imagine-t-on enfin ce Tilsitt clandestin où l’on se distribue des territoires, non-seulement la Hollande, l’Allemagne du sud, mais la Suisse française, un morceau du Piémont, que savons-nous encore ? C’est bon pour ceux qui ont pris la Silésie parce qu’ils voulaient la Silésie, qui gardent sans droit les dépouilles du Danemark, qui accusaient l’Autriche de les provoquer, de les menacer, lorsque M. de Bismarck, passant par Paris trois mois avant, disait, avec sa brutalité moqueuse, qu’il avait mis « sa marmite