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faiblesse de sa poitrine l’obligea d’aller passer l’hiver à Nice en 1832. Il dut à diverses époques s’occuper sérieusement de sa santé, et fit à cet effet plusieurs voyages aux eaux d’Allemagne et dans le midi.

Ces voyages n’interrompaient nullement ses études. Il en est de même de toutes les fonctions dont il fut chargé, quoiqu’il s’en acquittât avec conscience. Il fut attaché, en 1834 et 1835, à deux commissions qui avaient pour objet, l’une d’étudier la condition des pauvres irlandais en Angleterre, l’autre de dresser une enquête sur l’église établie et les propriétés ecclésiastiques en Irlande. Lewis saisit cette occasion d’étudier à fond des questions qui préoccupaient alors vivement l’opinion ; il visita les villes manufacturières d’Angleterre et d’Ecosse, et fit en Irlande un séjour prolongé. Ses observations et les vues qu’elles lui suggèrent sont consignées dans plusieurs écrits sur les pauvres, sur l’église établie, sur les troubles de l’Irlande. Il signale les vraies sources du mal, et s’arrête pourtant à des mesures modérées ; mais il avait le malheur de voir les choses telles qu’elles sont, et de les dire à une époque où le préjugé public n’admettait pas les dissidences. Son impartialité hors de propos nuisit à son succès. Il met à nu dans sa correspondance les causes réelles de l’antagonisme entre le peuple d’Irlande et celui d’Angleterre. « Les Irlandais, écrit-il de Manchester, sont à la lettre dans ce pays ce qu’au dire de Tacite les Juifs étaient chez les Romains, despectissima pars servientium, la fraction la plus méprisée de la population travailleuse, une race séparée parce que c’est une race rejetée. La répugnance à l’union est toute de notre côté, non du leur. Dans les fabriques, nos enfans se plaignent d’être placés auprès des enfans irlandais, et dans les écoles du dimanche les Anglais se tiennent à l’écart. » Il fait ailleurs, entre mille autres, une observation dont je suis singulièrement frappé. Avant d’aller en Irlande, il croyait beaucoup à l’influence de la race sur le caractère irlandais. Après avoir noté, mesuré l’action des causes démoralisatrices auxquelles cette race est depuis si longtemps soumise, il se demande si une race germanique y eût mieux résisté, et il déclare ne pouvoir répondre par l’affirmative. « Toutes choses égales, j’aimerais mieux, ajoute-t-il, avoir affaire à un Germain qu’à un Celte, à un protestant qu’à un catholique ; mais je ne fais aucun doute qu’une population de paysans catholiques celtes ne puisse être gouvernée de telle sorte qu’elle soit paisible, industrieuse et satisfaite ; je ne doute pas non plus que des paysans de race germanique et protestans ne puissent être, pourvu qu’ils soient convenablement opprimés et brutalisés, rendus aussi mauvais que les Irlandais. » Rien ne prouve mieux, à mon sens, la vigueur de l’esprit et la véritable indépendance de jugement que de rester supérieur à certains préjugés qui