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n’a pas encore été assez appréciée. Et loin de lui savoir mauvais gré de l’universelle approbation donnée à ses nobles paroles en faveur des droits de l’humanité, nous ne pouvons nous empêcher de nous dire : Que n’est-il un des nôtres, cum talis sis, utinam noster esses ! » Mais on ne ressentait pas partout le même enthousiasme. Beaucoup s’étonnaient tout haut qu’un ancien collègue de lord Aberdeen se fût chargé de cette dénonciation. La politique conservatrice n’est-elle pas solidaire en tout pays, et n’était-ce pas la trahir en Angleterre que d’en révéler les excès même les plus honteux à Naples ? Cependant lord Derby fit en 1852 un dernier effort pour le retenir ou pour le ramener en lui offrant une place dans son ministère. M. Gladstone refusa, et quelques mois après son discours contre le budget de M, Disraeli, qui entraîna la retraite du cabinet, fit savoir à tout le monde que les derniers liens étaient brisés.

Je n’ai pas à revenir sur les actes de M. Gladstone comme chancelier de l’échiquier dans l’administration de lord Aberdeen et dans celle de lord Palmerston. Deux choses seulement sont à noter : sa résistance obstinée à la proposition, faite par M. Roebuck dans la chambre des communes et par lord Ellenborough dans la chambre des lords, d’une enquête parlementaire sur l’organisation de l’armée et sur la conduite de la guerre aussitôt après les premières catastrophes essuyées en Crimée, — puis ses instances pour hâter la fin de la guerre et pour faciliter la paix. Il repoussait l’établissement d’un comité d’enquête comme inutile à l’armée, inconstitutionnel et dangereux pour l’honneur de la chambre, on eût dit que le souvenir du comité de salut public hantait alors sa pensée ; lorsque lord Palmerston eut fini par consentir à la proposition, M. Gladstone se retira du ministère. Quant à la guerre, il se rapprochait plus des idées de MM. Cobden et Bright que de celles de lord Palmerston, comme on put le voir par ses attaques énergiques contre la politique suivie par ce ministre en Chine. Au surplus, les partis parlementaires subissaient à cette époque une fermentation qui ne laissait pour ainsi dire personne à sa place. Un étranger qui eût assisté dans ce moment aux débats de la chambre, en voyant un jour lord Russell et M. Gladstone soutenir le ministère Derby contre les attaques de lord Palmerston et de sir George Cornewal Lewis, et le lendemain en entendant lord Palmerston traiter M. Gladstone et lord John de parfaits ignorans en fait de politique étrangère, aurait eu peine à se reconnaître au milieu de ces travestissemens. Quoique M. Gladstone ait fait partie de deux cabinets sous lord Palmerston, il y avait entre eux, je crois, une médiocre sympathie. Les côtés équivoques du brillant comédien qui entendait si parfaitement l’art de manier l’opinion anglaise, d’en flatter les caprices, d’en mettre les faiblesses et les hypocrisies à profit, et qui parvint dans ses