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Maitland, singe ridicule de Bonaparte, qui parait avoir joint aux faux principes de son modèle une brutalité de conduite et des façons grossières que son modèle n’avait pas. Il y a ici nombre d’Anglais — grands admirateurs de ce qu’ils appellent la vigueur et l’énergie de Maitland ; mais les plus sensés voient fort bien que son système de faire marcher le monde à coups de pied est absurde et devient à la longue funeste. »

Malgré la négligence de parti-pris signalée par Lewis en matière d’instruction publique, il existait cependant un établissement d’éducation pour les jeunes filles pauvres, un conservatorio, comme on l’appelait. La singularité des méthodes d’enseignement pratiquées dans le conservatorio témoigne du souci que prenait le gouvernement de le surveiller. Lewis s’aperçoit, en y regardant de près, que ces jeunes filles, auxquelles on enseigne régulièrement l’italien, le prononcent, il est vrai, parfaitement, mais ne peuvent ni en entendre ni en parler un mot : on n’oublie qu’une chose, c’est de leur apprendre le sens de ces mots qu’elles prononcent si bien. Aussi fait-il de l’état intellectuel du pays un tableau attristant. « La langue des Maltais est un dialecte arabe peu différent de celui qui est parlé sur les côtes barbaresques jusqu’aux confins de l’Égypte. Il n’a jamais été écrit, on ne peut pas même dire qu’il ait un alphabet : je ne sache pas que la tradition conserve ici la moindre composition littéraire. Les indigènes sont de race arabe, descendus des Sarrasins qui s’emparèrent de l’île. Leur physionomie présente une ressemblance frappante avec celle des Juifs. Ils sont d’un caractère sombre, ne rient, ne chantent, ne dansent jamais ; leurs amusemens, de couleur toute religieuse, consistent en processions, en fêtes de saints, etc. L’ignorance est extrême, comme vous pensez, puisqu’il n’y a pas d’instruction pour les pauvres, très peu pour les riches, et nulle liberté de presse. Ils ne manquent pourtant ni de finesse ni d’intelligence, et ils sont remarquablement adroits de leurs mains… Il y a ici une pernicieuse engeance de nobles qui transmettent leurs titres à tous leurs fils, avec des fortunes qui varient de 500 à 40 livres par an et l’obligation volontaire de s’interdire tout métier pour vivre. Ces gens sont ignorans, bornés, avides des deniers publics ; il faudrait abolir leurs titres. » Il déclare avec tout cela la population maltaise fort supérieure à la colonie des fonctionnaires anglais ; ceux-ci et leurs femmes, enflés d’une importance à laquelle ils ne sont pas accoutumés, trouvent beau d’écraser les Maltais du poids de leur vulgarité. « Un Anglais, dit-il, qui veut garder quelque estime pour ses compatriotes, doit éviter avec soin de les voir hors d’Angleterre. » La misère dans l’île est égale à l’ignorance. Le blocus continental avait fait de Malte le centre d’un commerce artificiel : de là un bien-être passager qui