Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ne pouvoir tenir les promesses faites à la nation par la bouche de la souveraine sur son trône. En 1855, mon noble ami éluda la responsabilité de la réforme, grâce à la guerre ; en 1856, il y échappa grâce à la paix. En 1857, il y échappa par la dissolution du parlement, en 1858 par la dissolution de son gouvernement. Cette suite de faits confirme la nation dans la pensée, très fausse assurément, que la chambre ne tient pas beaucoup à vider la question ; mais il n’en est que plus hasardeux d’opposer de nouveaux obstacles et plus urgent de mener le bill à bonne fin. » Le pays n’était pourtant pas encore au bout de ses déceptions. L’année suivante, lord Palmerston annonçait de nouveau dans le discours du trône un plan de réforme ; le projet présenté, il le défendait d’un ton très propre à encourager les résistances, qui signifiait clairement : « si la question est posée, ce n’est pas ma faute ; supportons l’ennui d’avoir l’air de nous en occuper. » Bientôt il retirait le bill « par égard pour les répugnances de la chambre, » ce qui n’empêcha pas, deux ou trois ans après, la discussion de recommencer sur une proposition faite par M. Baines d’abaisser le cens dans les bourgs.

M. Gladstone était convaincu depuis longtemps, plusieurs commençaient à se persuader que la plaisanterie ne pourrait durer toujours, que, peu digne en elle-même d’un gouvernement honnête, elle mettrait à la longue la considération de la chambre en péril. Il soutint la proposition de M. Baines, et son discours du 15 mars 1864, qui fit scandale, est peut-être le plus important qu’il ait prononcé sur la question par la nature des raisons dont il se servit et par les engagemens qu’elles paraissaient impliquer. Ce n’était pas un agitateur comme M. Bright qui parlait, c’était un ministre, et, quoiqu’il se prononçât en son nom personnel, son langage eut dans le pays un immense retentissement. Il commença par répondre à ceux qui attestaient contre tout projet de réforme l’indifférence politique du peuple : « On dit que les classes laborieuses ne s’agitent pas pour obtenir le droit de suffrage ; mais faut-il donc attendre cette agitation ? Je dis qu’au contraire il faut la prévenir et la conjurer… Quand le travailleur se trouve contraint à quitter l’atelier, à interrompre les occupations auxquelles il doit son pain de chaque jour, quand il renonce à employer utilement son temps, je dis qu’il faut voir là l’indice d’un péril, car il ne se résigne à cette extrémité que sous l’empire d’une forte nécessité d’agir et d’une funeste défiance à l’égard des gouvernemens qui l’y réduisent. » Ces considérations, dictées par la prudence, avaient été présentes plus d’une fois ; mais que devait-on penser lorsqu’on entendit M. Gladstone ajouter : « Je ne crains pas d’affirmer que tout homme qui n’est pas présumé incapable en raison d’un danger social ou d’une indignité personnelle a moralement le droit de