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des gouvernemens fédéraux, il lui fait part de ses vues, il s’applique surtout à détruire la confusion, si ordinaire entre un gouvernement fédéral et une fédération d’états. « L’idée essentielle du gouvernement fédéral, lui écrit-il, en tant que distinct de la simple fédération, est que la souveraineté est divisée entre un nombre de gouvernemens qui dépasse d’un le nombre des états. Soit n le nombre des états, celui des gouvernemens sera n + 1. Chaque état doit avoir un gouvernement à part, et la fédération entière un gouvernement commun. Si vous supposez l’union de plusieurs monarchies, la formule est également vraie… Les écrivains qui qualifient notre système colonial de gouvernement fédéral négligent cette importante considération, ils ne voient pas qu’il manque ici le caractère essentiel du fédéralisme. Supposé que le gouvernement d’un des états fédérés exerce le pouvoir de gouvernement fédéral, les autres états tombent aussitôt au rang de simples municipalités. » Ne dirait-on pas que Lewis définit d’avance ici les rapports de la Prusse et des états qui forment avec elle la confédération du nord ?

Sous l’empire de ce parti-pris contre le système fédéral, sir George devait juger la rupture des États-Unis irrémédiable dès qu’elle viendrait à éclater. Il l’avait de tout temps regardée comme prochaine. En 1856, les brutalités personnelles exercées sur M. Sumner par un député du sud et l’élection de M. Buchanan à la présidence lui paraissent être le signal de la guerre civile. Cependant l’Union persiste. Il a peine à comprendre qu’avec tant de causes de séparation, attachés par le faible lien de ce qu’il déclare le pire des gouvernemens, le nord et le sud restent encore unis. Curieux d’informations exactes, il s’adresse, en 1859, pour avoir le mot de l’énigme, à un homme qui connaît bien l’Amérique et qui n’est autre que M. Lowe, le chancelier actuel de l’échiquier. « J’ai demandé à Lowe, dit-il dans une de ses lettres, de me mettre par écrit ce qu’il considère comme les raisons principales qui maintiennent aux États-Unis le système fédéral. Il m’a donné la liste suivante :

1° Les Américains ont peur les uns des autres ; s’ils se séparaient, il leur faudrait entretenir des armées permanentes ;

2° Ils trouvent dans le système fédéral un certain contre-poids à la démocratie ;

3° Ils jouissent des avantages d’une union douanière ;

4° Ils peuvent donner carrière à leur humeur agressive en formant à l’égard des états étrangers une nation ;

5° Le sud, séparé du nord, serait en danger d’être exterminé par une guerre servile ;

6° Le nord perdrait un marché pour ses manufactures ;

7° La longueur des rivières en Amérique rend une séparation difficile : le Mississipi traverse sept états. »