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On a remarqué avec raison que la session de 1866, remplie à peu près exclusivement par la discussion du bill de réforme, présente l’unité, la progression et l’intérêt d’un drame. Le héros, presque toujours en scène, y occupe la pensée, même lorsqu’il est absent ; il lutte avec énergie contre des fatalités qui le conduisent, à travers des victoires et des chutes alternatives, à une catastrophe inévitable. Cependant on sent que ce courage n’est point perdu, que la défaite du héros hâtera le triomphe de la cause. On se rappelle que la défection d’une partie des libéraux, de ceux qu’une allusion biblique de M. Bright fit appeler les adullamites, entraîna l’insuccès du bill. On a imputé cet échec à deux fautes commises par M. Gladstone, et ces deux fautes, il faut convenir qu’il est plus facile de les signaler après coup qu’il ne l’était de les éviter dans les conditions où M. Gladstone abordait le débat.

La première faute est le ton péremptoire qu’on reproche à M. Gladstone d’avoir pris en défendant son bill. A plusieurs reprises, il déclara que le ministère n’admettrait aucune modification essentielle du plan qu’il proposait, et que, la session dût-elle durer jusqu’en septembre, la chambre ne se séparerait pas sans s’être prononcée. Ce ton d’empire est en effet périlleux chez un ministre constitutionnel, et s’il faut tout dire, M. Gladstone n’y prend pas toujours assez garde ; les petites ruses de rhétorique, nécessaires ou du moins utiles pour capter les esprits, ne sont pas à son usage. Ses sentimens se manifestent avec toute leur force dans sa voix, dans ses yeux, dans sa parole ; il a l’air de régenter quand il est simplement convaincu, et il se fait accuser d’un esprit de domination parce qu’il ne se domine point toujours assez. Qu’on ne l’oublie pas toutefois, il s’adressait à une chambre élue sous l’influence de lord Palmerston, non pas indifférente, mais positivement hostile à toute réforme. M. Gladstone et lord John Russell devaient, pour leur honneur et dans l’intérêt du projet, convaincre à tout prix cette chambre qu’il s’agissait d’une discussion sérieuse, et non de recommencer à nouveau le jeu qu’elle avait joué tant de fois. Il n’y avait pas de précaution oratoire, pas d’artifice de langage, pas de modestie sincère ou affectée qui pût triompher de ses répugnances.

La seconde faute qu’on reproche à M. Gladstone est une faute de tactique. Après six discours de la couronne où le problème était signalé aux méditations de la chambre, après là tentative cinq fois renouvelée par différens ministères pour le résoudre, après tant de travaux sur ce sujet dans le parlement et hors du parlement, la question était étudiée, les informations suffisantes, les documens complets, l’enquête close ; M. Gladstone n’avait pas à revenir sur la nécessité de l’entreprise. Aussi se contentait-il dans son exposé