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que la tradition a pour ainsi dire enveloppées. Les générations qui suivent ont pour la voile des inclinations plus tempérées, et il leur appartiendra d’affranchir l’emploi de la vapeur de ces mélanges qui, en altérant la simplicité du moteur, en affaiblissent aussi l’énergie. Jusque-là, laissons courir le temps et profitons des leçons qu’il apporte avec lui. Il n’est point de marine aujourd’hui qui ne vive dans une certaine expectative, même celles qui sont le plus justement fières de leur passé ; il y a des problèmes pour toutes. Les tempéramens sont donc permis, à la condition de ne pas se tromper sur le but. Aussi ne peut-on que s’associer aux sages réserves du vice-amiral Jurien, lorsqu’après s’être félicité de ses croisières à la voile et prononcé en faveur du système de mâture adopté pour son escadre, il ajoute : « Puisqu’on veut avant tout des navires de combat, je suis d’avis qu’il ne faut pas chercher leur sécurité dans un accroissement de voilure, mais dans la perfection et la bonne conduite des machines. J’ai eu d’autres idées à ce sujet, l’expérience les a modifiées. »


III

Les six bâtimens cuirassés dont se composait l’escadre de 1868-1869 présentaient cette particularité qu’en visitant l’un d’eux, c’était comme si on les eût visités tous. Le Magenta seul tranchait par ses dimensions, quoique son armement fût le même ; les frégates étaient pour ainsi dire copiées les unes sur les autres. Vaisseau et frégates étaient ce que l’on peut nommer de bons et beaux navires de mer. L’artillerie comprenait pour le Magenta dix pièces, pour les cinq frégates cinq pièces, chacune de 24. Ces pièces, qui pèsent chacune 20 tonneaux, ont des effets certains à 800 mètres sur les plaques dont sont revêtus la plupart des navires étrangers. Elles seraient impuissantes contre des plaques de 20 centimètres ; mais ce revêtement est peu commun et ne protège ordinairement que la flottaison. Pour le moment, on peut considérer comme le véritable objectif les cuirasses de 12, de 15 centimètres ; celles-là, les canons de 24 les brisent. Les pièces d’un moindre calibre ne peuvent guère s’attaquer avec succès qu’aux fortifications et aux parties non blindées des navires ennemis ; dans ce cas, la pièce la plus maniable doit être choisie de préférence à toute autre.

Ce n’est pas là d’ailleurs le dernier mot de la force de pénétration de nos pièces. Qui ne se souvient des modèles qui figurèrent à l’exposition universelle de Paris en 1867, et de ces projectiles fixés sur des plaques qu’ils n’avaient pas pu traverser ? Ces plaques avaient 20 centimètres d’épaisseur, ces projectiles pesaient 140 kilogrammes, et avaient été lancés avec 20 kilogrammes de poudre. Nous avons aujourd’hui dépassé les effets de ce tir dans nos canons