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qui s’est d’ailleurs réduite jusqu’ici à quelques tentatives isolées. Les musulmans égyptiens et nubiens apprécient trop la beauté de la race abyssine pour ne pas avoir jeté depuis longtemps un œil d’envie sur ce pays de quatre millions d’âmes, qui pourrait devenir un si beau théâtre de chasse à l’homme pour les croyans. Malheureusement pour eux, il n’y a pas seulement des jeunes filles et des enfans en Abyssinie ; il y a aussi des guerriers qui font sur les soldats du vice-roi une impression de terreur que nous trouverions puérile, si elle n’était expliquée par des faits récens, Il y a trente ans, Mébémet-Ali, voyant cet empire dévasté par la guerre civile, crut l’occasion favorable pour l’annexer à la Nubie, à laquelle il venait de donner Khartoum pour capitale. Les Égyptiens, pleins de confiance dans la supériorité d’armement et de discipline qui les avait fait triompher des Turcs et des Wahabites, annoncèrent hautement qu’ils allaient changer en écuries les églises de Gondar : ils se heurtèrent, sur les bords de l’Atbara, contre une véritable croisade qui les extermina en quelques heures. La leçon profita, et pendant vingt-cinq ans on n’osa rien entreprendre contre un pareil nid de guêpes. Ce qui démoralisait le plus les Égyptiens, ce n’était pas la crainte de la mort, c’était l’usage barbare de mutiler les ennemis tués ou prisonniers, emprunté par les Abyssins aux Gallas, et qu’ils ignoraient avoir été aboli par Théodore II. Des procès ridicules en divorce, perdus par de malheureux soldats qui avaient été relâchés après la bataille de l’Atbara, avaient produit l’effet le plus fâcheux sur le moral des troupes. En 1863, le gouvernement égyptien voulut profiter de guerres intérieures de l’Abyssinie pour reprendre les projets de Méhémet-Ali, et de nombreux corps d’armée, infanterie noire et cavalerie indigène, furent accumulés à Khartoum et à Kassala ; mais au moment décisif on n’osa point entrer en Abyssinie. Le pacha se contenta d’encourager d’abominables razzias sur des villages désarmés de la province de Dankar ; ces razzias produisirent quelques centaines de victimes, femmes et enfans, qui furent mises en vente au marché de Guedaref et éparpillées dans toutes les provinces voisines. Ces profits stimulant les chefs égyptiens, on ne sait ce qui fût arrivé sans une catastrophe qui vint fort à propos pour l’Abyssinie. La garnison noire entassée à Kassala, n’étant point payée depuis des années, s’insurgea, massacra ses officiers, saccagea la ville, égorgea la plupart des commerçans, et fut elle-même taillée en pièces quelques semaines plus tard par des troupes fidèles arrivées en toute hâte de Saouakin. Tout ce qui échappa au massacre fut vendu comme esclave.

Les désastres de cette révolte soldatesque, arrivée en juillet