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1865, ont été vite réparés ; mais rien n’a paru depuis menacer sérieusement la liberté du peuple abyssin. L’Angleterre a sagement et honorablement décliné en 1868 toute action commune avec le vice-roi. Aujourd’hui il n’est pas impossible qu’une surprise n’amène une armée égyptienne de Khartoum à Gondar en trois ou quatre mois ; mais, quelles que puissent être les vues particulières du vice-roi, ses représentans civils ou militaires en Nubie n’ont aucun intérêt à tenter cette redoutable conquête. Les Abyssins, vaincus et convertis à grands coups de fouet, ne pourraient plus, d’après le Koran, être réduits en servitude corporelle ; il y a bien plus de profit à rassembler des troupes sur leurs frontières et à razzier inopinément les villages chrétiens, tactique qui a été si lucrative à Mouça-Pacha de 1862 à 1864. Il n’y aurait de péril sérieux pour le peuple abyssin que dans le cas où quelque capacité militaire européenne se mettrait, à prix d’argent, au service des cupidités du vice-roi pour créer un nouveau terrain de chasse à l’homme, et détruire le seul peuple chrétien d’Orient qui ait maintenu sa liberté et sa foi dans un milieu dégradé par l’islamisme. Il y aurait là un abominable crime sur lequel nous ne voulons pas même arrêter notre pensée. Ce qu’il y a de plus triste, c’est que l’Europe, mal informée, verrait la chose avec assez d’indifférence.

En résumé, le contingent de la traite en pays abyssin est jusqu’ici heureusement très faible. En temps ordinaire, il se réduit à des enfans volés par des djiberti de passage, par le procédé que j’ai déjà exposé. Une note trouvée dans les papiers du consul Barroni porte le chiffre des enfans chrétiens volés de la sorte à 100 pour une année (septembre 1844 à septembre 1845), nombre encore trop considérable assurément. Une coutume qui avait force de loi permettait aux consuls de les réclamer comme coreligionnaires et de les faire mettre en liberté. Les précautions spéciales que les marchands étaient obligés de prendre, les complicités qu’ils devaient s’assurer pour trafiquer de cette denrée compromettante, les mettaient entièrement à la merci des gouverneurs, qui faisaient de gros bénéfices sur cet article : quelques-uns même achetaient pour leur compte tous les esclaves de cette provenance et les revendaient directement pour l’Arabie. Il y eut de ces vols qui amenèrent de sanglantes conséquences, comme celui d’un neveu de Ouelda-Djaber, gouverneur de Hamazène, en 1849. L’oncle avait commencé par réclamer l’enfant au kaïmakan de Massaoua ; mais celui-ci l’avait déjà fait vendre à Djedda, et le fier Abyssin, réduit à se faire justice lui-même, descendit dans les basses terres, tua tous les sujets musulmans qu’il y trouva, réduisit Massaoua aux dernières extrémités, et rentra dans ses montagnes chargé de butin. C’est la razzia qu’a racontée ici