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dominent immédiatement Sarrebruck. L’opération se fait vivement, lestement, sans rencontrer une résistance sérieuse. C’en est fait, la campagne est ouverte, on est en Prusse, on tient sous le canon français la ville de Sarrebruck, le cours de la Sarre, le chemin de fer qui met en communication Trêves et Landau. Il semble que ce ne soit là qu’un début de bon augure, le signal heureux d’une action plus générale ; mais aussitôt tout se tait de nouveau, on rentre dans l’observation et l’expectative. Pendant deux jours, on fait halte sur ces hauteurs qu’on vient d’occuper et qu’on abandonne même bientôt au risque d’avoir à les reconquérir par le fer et le feu. Qu’arrive-t-il alors ? Les Prussiens, voyant notre immobilité, soupçonnent que nous sommes moins prêts que nous ne le disions, et profitent du temps qui leur est laissé pour s’avancer rapidement avec toutes les forces dont ils disposent, pour préparer une double attaque qui peut déconcerter notre action. Leur plan paraît assez simple, ils veulent rétablir leur position sur la Sarre, autour de Sarrebruck, en essayant de rompre nos propres communications sur un autre point plus éloigné ? ils s’avancent en deux grandes masses invisibles sur notre frontière, et tandis que dans nos camps, du côté de Metz, on en est peut-être encore à chercher ce qui se passe vers Trêves et Mayence, ou au-delà du Rhin, l’orage se forme et se rapproche de nous. Le 4 août, le feu s’allume tout à coup à l’autre extrémité de notre ligne. Le général Abel Douay, le frère de celui qui commande encore le 7e corps, est surpris avec une partie de sa division en avant de Wissembourg. Une reconnaissance se transforme en combat meurtrier ; pendant cinq heures, trois régimens et une brigade de cavalerie légère tiennent tête à trois corps d’armée, et le chef de cette force héroïque, le général Douay lui-même, se fait tuer peut-être de désespoir de s’être laissé surprendre. C’était le commencement de cette lutte inégale qui allait s’engager. L’affaire de Wissembourg dénotait évidemment la présence de masses prussiennes contre lesquelles il y avait à se prémunir sans perdre un instant ; mais il était peut-être déjà trop tard pour que le maréchal Mac-Mahon, accoure au désastre de la division Douay, pût appeler du secours. Il était réduit à soutenir seul avec son corps d’armée le choc d’un ennemi formidable. Mac-Mahon attendait néanmoins de pied ferme, et le surlendemain de l’affaire de Wissembourg, le 6 au matin, s’engageait la lutte sanglante dans toutes ces positions de Wœrth, de Frœschviller, de Reischoffen, si souvent illustrées par la guerre, de nouveau consacrées aujourd’hui par d’éclatans faits d’armes. Ce n’était là d’ailleurs visiblement qu’une partie du plan prussien ; le même jour, par un effort combiné, tandis que le prince royal allait se heurter contre Mac-Mahon, l’autre armée prussienne, débouchant par Sarrebruck et se portant rapidement sur les positions abandonnées la veille au soir par nos soldats, attaquait avec toutes ses forces le général Frossard, pour le