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dans le pays. Le gouvernement a commencé par imposer le silence à tout le monde, par assumer une sorte de dictature peut-être nécessaire, et il n’a rien fait pour diriger ce feu de patriotisme éclatant partout, pour éclairer l’opinion en la contenant. Il n’a su en vérité ni agir, ni parler, ni se taire à propos. Ces échecs mêmes qui sont venus nous surprendre, il a trouvé le moyen de les rendre plus cuisans par la manière dont il les a représentés, de les aggraver par son trouble. On a pu le voir au lendemain de la première affaire de Wissembourg ; on n’a su à demi ce qui s’était passé que plus de vingt-quatre heures après, lorsque la nouvelle était déjà arrivée par l’Angleterre, et, chose plus étonnante encore, la dépêche française laissait tout craindre par ses obscurités, par ses réticences inquiétantes ; il a fallu la dépêche prussienne, publiée à Londres, et revenant à Paris pour éclaircir les faits, pour rassurer, autant qu’on pouvait être rassuré, en montrant ce qu’une poignée de soldats avait dû déployer d’héroïsme dans ce combat inégal. Il en a été à peu près de même pour l’affaire du maréchal Mac-Mahon, qui était, il est vrai, bien plus sérieuse. Assurément on ne peut pas songer, par un patriotisme mal entendu, à pallier une défaite ; mais il n’est pas douteux que le gouvernement est venu ajouter à la gravité du fait par l’effarement qu’il a montré. Tranchons le mot, on n’a pas su préparer la guerre, on n’a pas su commander, on n’a pas su faire face aux difficultés d’une immense entreprise, et on a perdu la tête à la première épreuve. L’instinct public, éclatant aussitôt, a pris le dessus, il s’est imposé de toute sa puissance, et il en est résulté cette situation où le ministère a été emporté du premier coup, où il a fallu changer le commandement, où l’opinion, mise soudainement en présence du plus grand de tous les périls, ne demande qu’à être dirigée pour soutenir la lutte patriotique qui s’impose à la France. Aujourd’hui c’est le maréchal Bazaine qui est le généralissime de l’armée à Metz, c’est un ministère formé par le général Cousin-Montauban, comte de Palikao, qui est à Paris, et la nation est debout prête à la défense et à l’action.

La première question pour tous en effet, c’est le combat contre l’invasion. Le cabinet nouveau s’est formé pour cela ; on lui a donné le nom de ministère de la défense nationale, et, s’il justifie ce titre, il aura certes rendu au pays le plus éclatant des services. Nous ne recherchons plus même ce que peuvent représenter politiquement les hommes d’opinions diverses qui entrent ensemble au pouvoir, le prince de Latour d’Auvergne, M. Jérôme David, M. Clément Duvernois, M. Jules Brame, M. Grandperret, M. Henri Chevreau. Il est trop visible que pour aujourd’hui il y a surtout deux choses essentielles, la guerre et les finances. C’est le général Montauban qui est naturellement ministre de la guerre ; c’est M. Magne, un homme dès longtemps expérimenté, qui est ministre des finances, et, malgré le tumulte des premières séances