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respect de la propriété privée sur mer. Le ministre de la marine, auquel on attribue cette mesure, a pensé que par là il porterait préjudice à l’ennemi, qu’il empêcherait l’Allemagne de commercer au dehors. Dans la chaleur de son patriotisme, le ministre s’est mépris, il n’a fait que paralyser la marine marchande de l’Allemagne du nord au profit des neutres, qui, tant que durera la guerre, feront les exportations et les importations maritimes en Allemagne. Le vaillant amiral pensait que la Prusse, n’ayant eu jusqu’à ce jour qu’une marine militaire très peu nombreuse, et celle-ci restant enfermée dans les ports, la marine marchande de la France conserverait son essor accoutumé ; il n’en a point été ainsi. Les commerçans des ports ont l’esprit fait de telle sorte qu’ils ne seront parfaitement convaincus de la sûreté de leurs marchandises à bord des bâtimens français qu’après que la France aura adopté la même règle que la Prusse. Qu’il veuille bien s’informer auprès des chambres de commerce du Havre, de Bordeaux, de Dunkerque, de Marseille même : il apprendra si la conséquence du refus de la France n’a pas été que le commerce de nos ports préfère autant que possible expédier ses marchandises sous pavillon étranger, et notamment sous pavillon anglais, au grand dommage du pavillon français, qui est délaissé.

Un autre fait plus grave, en ce sens qu’il tend, contre la volonté de ceux qui en sont les auteurs, à provoquer des violences, consiste dans l’explosion d’accusations que depuis quelques jours un certain nombre de journaux font pleuvoir sur les Allemands établis à Paris : on sait que beaucoup d’entre eux y sont depuis vingt ans, trente ans et plus. On les accuse d’espionnage, on les représente comme des ennemis qui ne cherchent qu’une occasion de nuire à la France et de fournir à l’état-major prussien des renseignemens utiles pour lui, funestes pour nous. Les imaginations en travail leur attribuent toute sorte de méfaits. Ceux-ci lèvent le plan des fortifications de Paris pour l’expédier à Berlin, comme si, depuis vingt ans que les fortifications de Paris sont achevées, tous les états-majors de l’Europe n’avaient pas trouvé le moyen d’en connaître les dispositions, de même que notre ministère de la guerre a le plan de la plupart des places de l’Europe. Ceux-là enclouent les canons dont on garnit les bastions ; il est vrai que le journal qui avait révélé cet attentat contre nos pièces d’artillerie a eu la bonne foi de déclarer le lendemain qu’il avait été dupe d’un faux renseignement.

Que l’ennemi ait cherché à entretenir des espions en France, c’est plus que possible et même plus que probable. C’est l’usage constant à la guerre, chacun s’en sert comme il sait et comme il peut. Seulement ce n’est pas à Paris que les Prussiens ont besoin d’avoir des espions, c’est sur le théâtre des hostilités, où chacun s’applique à découvrir la position des différens corps de l’adversaire ; mais à Paris, à quoi bon ? Tout ce qui s’y fait et même ne s’y fait pas, tout ce qui s’y dit et même