Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lisbonne, ce qui lui fut accordé, et il s’y transporta avec sa jeune femme à la fin de 1750. On peut croire que le désir d’occuper une grande position dans son pays n’était pas étranger à son abandon de la carrière diplomatique, où il s’était signalé.

Le retour de Carvalho en Portugal coïncida avec la mort du roi Jean V, qui à la fin de sa vie offrit le spectacle d’une déplorable caducité physique et morale, quoiqu’il n’eût que soixante ans. Jean V avait eu un règne très long, car il était monté sur le trône presque enfant. Il avait pris pour modèle Louis XIV et l’avait imité plus souvent dans ses défauts que dans ses qualités. Comme lui, il prétendit écraser tout le monde sous le poids de sa magnificence, comme lui, il eut la fureur des constructions, il éleva des palais du plus grand style, et bâtit l’église patriarcale de Lisbonne sur le plan de Saint-Pierre de Rome ; mais plus que lui, il combla de riches présens le saint-siège et prodigua ses dons aux établissemens ecclésiastiques, et le pape reconnaissant lui donna le titre de majesté très fidèle, qui est resté aux rois de Portugal. Plus que Louis XIV aussi, après s’être fait remarquer de même par une vie très relâchée, il se livra aux pratiques religieuses, qu’il outra jusqu’à l’extravagance. Il légua à son successeur une cour transformée en monastère et un état gouverné par des moines ; le frère Gaspard de l’Incarnation était son premier ministre.

Le nouveau roi, Joseph Ier, monta sur le trône à trente-cinq ans avec une certaine expérience de la vie, mais sans goût pour les affaires. Deux factions se disputèrent d’abord le gouvernement, et toutes les deux étaient dirigées par des prêtres : le frère Gaspard d’un côté et de l’autre les jésuites. La reine-mère, qui était de la maison d’Autriche et qui exerçait de l’influence sur son fils, l’engagea à se passer également des deux partis et à donner un rôle important dans le cabinet à Carvalho, qu’elle affectionnait à cause de sa femme, autrichienne comme elle.

Le futur marquis de Pombal commença ainsi à prendre part au gouvernement de son pays à l’âge de cinquante et un ans. Il était ministre de la guerre et des affaires étrangères. Plus tard il quitta ces portefeuilles pour prendre celui de l’intérieur ; mais ce fut dans un temps où tous les autres ministres n’étaient que ses subordonnés. Grand travailleur, d’une aptitude très étendue, d’un caractère entreprenant et dominateur, d’une résolution indomptable, il devint bientôt, sous un prince qui laissait flotter les rênes et avec des collègues qui lui étaient fort inférieurs, le chef effectif de l’état.

Ses débuts dans l’administration ne furent pas bien inspirés. Il avait, au sujet des métaux précieux, une opinion fort erronée dont la science a démontré la fausseté et le péril, et qui, parmi les personnes versées dans l’économie politique, est de nos jours