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preuve directe et positive de leur participation au complot. » Les jésuites étaient en rapport avec le duc d’Aveiro et les Tavora ; ils étaient leurs amis et leurs conseillers. Ils les confessaient et, consultés par eux au tribunal de la pénitence, ils avaient pu, dans leur animosité contre le gouvernement, faire ce qui a été allégué, répondre que le meurtre du roi, et d’un tel roi, dans de telles circonstances, serait à peine un péché véniel. D’un autre côté, Pombal les considérait, non sans de bonnes raisons, comme des ennemis. Il savait qu’ils n’avaient pas été étrangers au soulèvement de Porto à l’occasion du monopole du commerce des vins. Il avait tout lieu de croire qu’ils le haïssaient personnellement, outre qu’ils blâmaient systématiquement la direction donnée aux affaires de l’état. Il se rappelait qu’ils avaient pris part aux murmures inconsidérés du peuple et de la noblesse pendant la catastrophe du tremblement de terre, et il avait lu, parce qu’il l’avait intercepté, le récit qu’ils adressaient à leur général à Rome sur ce qui s’était passé dans cette catastrophe, compte-rendu qui était, dit M. Gomès, « d’une grande insolence. » Dans l’emportement de sa haine, lui dont la haine était plus que vigoureuse, il a pu concevoir le dessein de les perdre à tout prix, et l’attentat du 3 septembre a pu lui paraître une occasion incomparable qu’il fallait saisir. Les hommes qui, ainsi que lui, se sont montrés sans scrupule sur les moyens, s’exposent à toutes les hypothèses. On pourrait donc supposer que le jugement du père Malagrida fut un de ces procès qu’on nomme politiques, parce que la prétendue raison d’état y sert de base, et non le droit et la vérité. Les pièces manquent aujourd’hui pour prononcer. Devant le tribunal de l’inconfidence, le procès fut sommaire au plus haut point, et devant l’inquisition il ne fut pas fait mention de l’attentat du 3 septembre. Les modernes sont donc privés de tout moyen de contrôle ; mais à l’époque de la condamnation, l’opinion européenne admit la complicité du père Malagrida. Le malheureux n’était aucunement méchant par nature, mais c’était un pauvre esprit, dont le jugement était oblitéré par les subtilités des casuistes et par les théories de plusieurs d’entre eux au sujet des rois. Les cabinets, dont le procès frappa naturellement l’attention, puisque une tête couronnée avait été l’objet du crime, admirent presque tous que les jésuites y avaient trempé par des conseils donnés dans le confessionnal ou au dehors, et ils en furent fortement irrités contre la société.

Quelque temps après l’exécution de Malagrida, les jésuites étant déjà renvoyés du royaume, Pombal entreprit la destruction même de la société. Il s’agissait d’en faire prononcer l’abolition par le saint-siège, quoique le pontife d’alors aimât les jésuites, et que le secrétaire d’état qui gouvernait sous son nom, le cardinal Torrigiani,