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Paris s’est accoutumé aujourd’hui à l’idée d’un siégé, il est armé, approvisionné, et il attend les événemens sans s’émouvoir. Prétendre s’avancer, même avec 150,000 hommes, sur une ville transformée en camp retranché, cuirassée de fortifications, résolue à se défendre, ayant pour appui la France entière, eût été un défi d’une témérité puérile, et il n’est point étonnant que le prince royal, au lieu de pousser plus loin une marche dangereuse, se soit empressé de rétrograder au premier appel des autres armées prussiennes retenues entre la Moselle et la Meuse. C’est qu’en effet pour le moment le nœud de la campagne était beaucoup moins sur le chemin de Paris que sur la Meuse et sur la Moselle, dans ces opérations par lesquelles le prince Frédéric-Charles et le général Steinmetz se sont efforcés de venir à bout du maréchal Bazaine, et ici encore quelle a été la portée de ces opérations ? dans quelle mesure ont-elles réussi ? Le roi Guillaume, nous le savons suffisamment, a expédié à Berlin des bulletins triomphans que les journaux anglais se sont empressés de reproduire avec complaisance. Après tout les bulletins ne sont rien, une action de guerre se juge par le résultat. Or le résultat évident, palpable, le voici. Premier bulletin, première victoire prussienne : le maréchal Bazaine se mettant en retraite sur Verdun est refoulé dans Metz après un violent combat, c’est le 14 août que cela se passe ; mais il se trouve que le lendemain on se bat encore, et que deux jours après, le 16, cette armée française vaincue, repoussée dans ses retranchemens, est en position pour livrer une bataille acharnée qu’elle perd. Cette fois encore la voilà plus que jamais rejetée dans Metz. — Second bulletin, seconde victoire prussienne. — Tout est fini apparemment après cela ; point du tout. Le 18, nouveau choc plus opiniâtre, plus sanglant que tous les autres, et qui se termine invariablement de la même manière : l’armée française est coupée et refoulée. On ajoute seulement une variante bien naturelle après de si terribles luttes, Bazaine va immanquablement être réduit à capituler. Un maréchal de France à la tête de plus de 100,000 hommes capituler ! C’est un peu hasardé, on en conviendra ; mais l’essentiel est sans doute l’effet qu’on produit ainsi à Berlin et dans l’Allemagne tout entière.

Il y a cependant deux choses caractéristiques à remarquer : à mesure que les batailles se succèdent, les bulletins deviennent plus mélancoliques ; on laisse entrevoir une effroyable effusion de sang, le roi Guillaume n’ose pas interroger ses généraux sur les pertes que les Allemands ont essuyées. D’un autre côté, cette armée qui se dit complètement triomphante, qui a brisé le nerf des forces françaises dans trois grandes batailles, ne tente plus rien à dater du 18, elle ne songe pas à profiter de sa victoire, elle est réduite à l’immobilité. Si elle a été si heureuse dans ses opérations, comment ne poursuit-elle pas son succès ? La vérité est que, sans publier de bulletins, le maréchal Bazaine a fait, lui, ce