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calculs par le tour qu’elle a pris, qui leur a enlevé la fleur de leur armée, qui leur coûte jusqu’à ce moment vingt fois plus que ne leur a coûté la guerre de Bohême. Organisés pour une action rapide et foudroyante, ils s’épuisent dans une lutte opiniâtre, soutenue loin de leur pays, loin de leurs approvisionnemens, au milieu de populations ennemies, qui sont pour eux un danger de plus. Déjà ils en sont à faire venir leurs réserves ; chaque jour maintenant ajoute aux difficultés qui les entourent, et pour nous au contraire chaque jour est une force. Qu’on remarque bien ce fait, qui a son importance au point de vue de la durée et de l’issue définitive de la guerre : jusqu’ici, nous n’avons réellement combattu qu’avec nos forces les plus simples, les plus ordinaires, avec celles qui auraient dû être en ligne dès le premier jour. Dans ces armées de Mac-Mahon et de Bazaine, qui tranchent peut-être en ce moment la question par leur héroïsme, il n’y a pas un homme des levées extraordinaires. Nous avons encore les deux derniers contingens réguliers, les hommes de 25 à 35 ans appelés sous les drapeaux, la garde mobile qui s’organise partout. Quand les Prussiens seront déjà plus qu’à demi épuisés par ces vaillans soldats qu’ils rencontrent chaque jour devant eux, nos forces commenceront à se révéler dans leur puissance et leur élasticité. Disons le mot : il nous est arrivé un peu à ce début des hostilités avec la Prusse ce qui est arrivé plus d’une fois aux Anglais dans les guerres qu’ils ont entreprises. Assez souvent les Anglais ont eu des commencemens de campagne malheureux, parce qu’ils n’étaient pas préparés, parce qu’ils avaient oublié dans la paix que la guerre était possible, parce que leur armée n’était ni assez nombreuse, ni suffisamment organisée et outillée. Aux premiers échecs, ils se réveillaient, ils se mettaient à l’œuvre avec la plus irrésistible énergie, ils déployaient toutes leurs ressources, et bientôt, lorsque tout le monde était déjà lassé, ils se retrouvaient en état de reprendre la campagne pour défendre victorieusement la grandeur de l’Angleterre. C’est notre histoire au début de la guerre avec la Prusse, et ce sera, nous l’espérons bien, notre histoire jusqu’au bout, quelles que soient les alternatives des hostilités qui se renouvellent chaque jour.

L’essentiel pour nous à l’heure où nous sommes, c’est de ne point gaspiller le temps, c’est que l’action de la France, concentrée sur l’objectif unique qui s’offre à elle, garde toute son énergie et toute son efficacité. Pour cela, il faut deux choses qui sont, à vrai dire, les conditions du succès : la première, c’est l’ordre, la suite dans l’organisation de nos forces, dans l’armement du pays. Ce ne sont pas les hommes qui manquent aujourd’hui, surtout après les lois qui ont été récemment votées, et dont la dernière autorise l’incorporation par bataillons de la garde mobile dans les régimens de ligne. Des combattans, il y en a, et il y en aura bientôt plus d’un million. Le ressort est créé, la force existe, il s’agit de mettre ce ressort en mouvement sans