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cès des armes de la France, c’est que pour le moment on renonce sans hésitation à toutes les querelles politiques, à tout ce qui peut alimenter les divisions. Le corps législatif a malheureusement de la peine à se renfermer dans le rôle que les circonstances lui imposent, et il n’en faut pas beaucoup pour raviver les passions, les vieux dissentimens des partis, pour mettre le feu dans la chambre. Les membres du corps législatif prennent chaque jour les meilleures résolutions, parce que ce sont après tout des patriotes qui sentent bien l’importance de l’union en présence de l’ennemi, et le lendemain ils retombent dans le piège des discussions irritantes ou inutiles. Ils ont la fièvre comme tout le monde, et ils feraient mieux quelquefois de ne pas se réunir, ne fût-ce que pour éviter de communiquer cette fièvre. Non, il ne s’agit pas aujourd’hui de se perdre dans des récriminations vaines, d’élever des questions de gouvernement qui se poseront toutes seules quand il le faudra ; il s’agit avant tout d’opposer aux entreprises étrangères l’indissoluble force du sentiment national armé pour la défense commune. Avant de savoir ce qu’on fera de ce malheureux et héroïque pays, quelles institutions il aura, comment il se gouvernera, il faut apparemment assurer son existence et son invariable grandeur. La meilleure raison en faveur de cette politique d’action purement nationale, c’est que tout ce qui n’est pas cela ferait trop manifestement les affaires de l’ennemi. Que les Prussiens aient compté au nombre de leurs chances une révolution possible à Paris, des dissensions violentes, des agitations propres à paralyser momentanément le patriotisme français, cela n’est point douteux ; ils l’ont avoué assez naïvement, ils ont même jeté en pâture à l’Europe toute sorte d’événemens qui n’avaient pas eu lieu ; ils ont été bientôt détrompés, ils n’ont eu pour les aider que cette absurde échauffourée de la Villette, où quelques énergumènes, désavoués par tout le monde, sont allés attaquer les plus modestes et les plus inoffensifs des soldats, de braves et honnêtes pompiers.

Évidemment les Prussiens ne demanderaient pas mieux que d’avoir des auxiliaires plus efficaces ; ils ne les ont pas trouvés, ils ne les trouveront pas, et ce n’est pas seulement pour sa propre dignité, pour son propre honneur, que le corps législatif doit éviter de laisser croire même à l’apparence de déchiremens politiques, c’est aussi pour garder la force morale nécessaire en de tels momens. Il faut que le corps législatif, par son attitude, serve de règle au pays. Il faut que gouvernement et assemblée donnent l’exemple du respect de cette trêve qui s’impose à tous, et qu’ils ne laissent pas rompre surtout cette alliance généreuse par des passions comme celles qui se sont récemment déchaînées dans quelques parties de la France sous prétexte de patriotisme. Ici ce sont des protestans qui sont poursuivis et accusés de connivence avec les Prussiens, lorsque les protestans de l’Alsace sont les premiers à se défendre valeureusement dans les murs de Strasbourg. Là ce sont des citoyens