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campagne, fera des efforts pour enlever les convois destinés à la place, pour intercepter ses communications, surtout pour lever des vivres dans les pays du voisinage, car il n’est pas supposable qu’il espère subsister avec les munitions de bouché qu’il tirerait de sa base d’opérations, ce sera une série d’entreprises difficiles à exécuter en présence d’une armée régulière de 100,000 hommes ou plus, qui, couverts par les fortifications, seront toujours maîtres d’imposer ou de refuser le combat, et qui, placés dans une position centrale par rapport à l’armée répandue autour de Paris, seront toujours maîtres de rayonner et de manœuvrer par la ligne la plus directe pour se rendre sur tous les points où il leur conviendra de se montrer, tandis que l’ennemi sera toujours obligé de suivre des arcs de cercle. S’il se répand trop, il court le risque de se faire battre en détail ; s’il reste concentré, comment fera-t-il pour vivre ?

Quoi qu’il en soit, l’attaque se dessine, et si elle ne s’engage pas dans la presqu’île qui s’étend de Nanterre à Gennevilliers, ce qui serait plus qu’imprudent, il faut qu’elle s’en prenne non à un front bastionné, comme nous le disions au commencement, mais à trois forts au moins, car les forts sont si rapprochés qu’ils croisent leurs feux, et qu’il serait nécessaire d’en avoir éteint et occupé trois avant de pouvoir marcher sur l’enceinte continue. Ici les difficultés se compliquent ; ce n’est pas avec de l’artillerie de campagne que l’on prend des places fortifiées, il y faut un parc de siège. Or de combien de bouches à feu suivies de l’attirail nécessaire se composera le parc de siège que l’ennemi devra traîner avec lui ? A la fin du siège de Sébastopol, les alliés avaient, comme nous l’avons dit, 800 pièces en batteries ; n’en faudrait-il pas au moins autant pour attaquer Paris ? Mettons, si l’on veut, 600 pièces seulement ; faisons remarquer néanmoins qu’à Sébastopol, étant maîtres de la mer, nous avions les navires pour nous apporter nos pièces et notre matériel presque à pied d’œuvre. Ici il n’en est pas de même, c’est par la voie de terre et peut-être un peu aussi par la batellerie que l’on pourra faire cheminer le matériel de l’assiégeant. Nous nous retrouvons alors à peu près dans la position où nous étions en 1832 devant la citadelle d’Anvers, un ouvrage moins considérable qu’aucun des forts détachés, et qui exigea un parc de 90 bouches à feu, dont le transport employa 10,000 chevaux. On n’exagère donc pas en disant que, pour traîner un parc de siège de 600 bouches à feu, il faudrait, en tenant compte des dégâts qui ont été déjà commis sur les lignes de chemins de fer, une armée de 50,000 chevaux de trait qui ne seront pas faciles à nourrir dans cette année où les fourrages et l’avoine ont manqué à peu près partout, en France et en Prusse plus qu’ailleurs. Combien de temps emploieront les charrois ? Ils sont cependant finis, les premiers cheminemens sont faits, les batteries sont construites et armées, elles vont ouvrir le feu, mais comment seront-elles disposées ? Dans des conditions