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complications de ces matières, embrouillées à plaisir, on est forcé d’entrer dans quelques considérations accessoires sur la nature de la propriété-eau.

C’est une erreur absolue de croire que le riverain d’un ruisseau, d’une rivière non navigable ni flottable, ou de la partie d’un fleuve qui ne l’est plus, est propriétaire du fond et de l’eau jusqu’au thalweg de son côté, ou tout à fait, s’il possède les deux rives. Le classement cadastral de ces eaux parmi les surfaces non imposables suffit à démontrer que le lit fait bel et bien partie du domaine public. Nous ne disconvenons pas que la coutume a eu le tort d’accorder au riverain un droit de servitude, la pêche, sur les eaux ouvertes de cette catégorie baignant sa propriété ; mais ce droit est abusif, c’est un obstacle absolu au repeuplement effectif de nos eaux, à une mise en valeur réelle. Ce droit doit être aboli. Tant que le droit du propriétaire sera une sorte d’usufruit timide, mal défini, comme celui que nous signalons, tant que le riverain aura la faculté de récolter et non de semer, toute amélioration sera impossible. Or à nos yeux la pisciculture représente pour notre pays une opération de première nécessité ; c’est pourquoi un intérêt particulier aussi mince que celui dont nous parlons doit s’effacer devant les besoins de la nation tout entière. Si par d’autres considérations l’on veut maintenir l’usufruit coutumier du riverain, qu’on transforme ce droit mal défini en un droit de propriété véritable. Laissez dès lors le riverain enclore, quand et comme il le voudra, la portion du domaine de l’eau qui désormais lui appartient, n’intervenez plus dans la gestion de sa chose, pas plus que vous ne vous préoccupez de l’assolement qu’il choisit pour ses terres. L’intérêt particulier le guidera dans l’une comme dans l’autre opération, et vous pouvez compter sur un maximum d’efforts de sa part. Tant que le ruisseau était ouvert à tout le monde, lui, comme les autres, se contentait d’y glaner la maigre récolte des terrains vagues ; dès qu’il sera sien, le ruisseau doit produire, et il produira. Le riverain sèmera, c’est là qu’il faut l’amener. Le succès sera dès lors acquis, non-seulement parce qu’il sèmera, parce qu’il récoltera et parce qu’il ressèmera, mais aussi et surtout parce qu’il prêchera d’exemple. Il faut voir la pisciculture là où elle doit être réellement, non dans les ateliers, à Paris, ni même à Huningue, non dans les établissemens plus ou moins luxueux créés par quelques particuliers aujourd’hui, et plus tard par l’état ; il faut la voir où elle doit être, en pleine campagne, en plein champ, dans la prairie, sur la montagne, dans la vallée, à l’angle de la forêt, au détour du chemin. C’est alors qu’elle deviendra réellement grande, parce qu’elle sera vulgaire, parce qu’elle sera partout. L’agriculture n’est pas demeurée enfermée dans les fermes-modèles.