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de ces principes ; qu’elle présente chez elle le modèle d’un état vraiment libéral, où les droits de chacun sont garantis, d’un état bienveillant pour les autres états, renonçant définitivement à l’idée d’agrandissement, et tous, loin de l’attaquer, s’efforceront de l’imiter.

Il y a, je le sais, dans le monde des foyers de fanatisme où le tempérament règne encore ; il y a en certains pays une noblesse militaire, ennemie-née de ces conceptions raisonnables, et qui rêve l’extermination de ce qui ne lui ressemble pas. L’élément féodal de la Prusse en particulier est à cet âge où l’on a l’âcreté du sang barbare, sans retour en arrière ni désillusion. La France et jusqu’à un certain point l’Angleterre ont atteint leur but. La Prusse n’est pas encore arrivée à ce moment où l’on possède ce que l’on a voulu, où l’on considère froidement ce pour quoi l’on a troublé le monde, et où l’on s’aperçoit que ce n’est rien, que tout ici-bas n’est qu’un épisode d’un rêve éternel, une ride à la surface d’un infini qui nous produit et nous absorbe. Ces races neuves et violentes du nord sont bien plus naïves ; elles sont dupes de leurs désirs ; entraînées par le but qu’elles se proposent, elles ressemblent au jeune homme qui s’imagine que, l’objet de sa passion une fois obtenu, il sera pleinement heureux. A cela se joint un trait de caractère, un sentiment que les plaines sablonneuses du nord de l’Allemagne paraissent toujours avoir inspiré, le sentiment des Vandales chastes devant les mœurs et le luxe de l’empire romain, une sorte de fureur puritaine, la jalousie et la rage contre la vie facile de ceux qui jouissent. Cette humeur sombre et fanatique existe encore de nos jours. De tels « esprits mélancoliques, » comme on disait autrefois, se croient chargés de venger la vertu, de redresser les nations corrompues. Pour ces exaltés, l’idée de l’empire allemand n’est pas celle d’une nationalité limitée, libre chez elle, ne s’occupant pas du reste du monde ; ce qu’ils veulent, c’est une action universelle de la race germanique, renouvelant et dominant l’Europe. C’est là une frénésie bien chimérique, car supposons, pour plaire à ces esprits chagrins, la France anéantie, la Belgique, la Hollande, la Suisse écrasées, l’Angleterre passive et silencieuse ; que dire du grand spectre de l’avenir germanique, des Slaves, qui aspireront d’autant plus à se séparer du corps germanique que ce dernier s’individualisera davantage ? La conscience slave s’élève en proportion de la conscience germanique, et s’oppose à celle-ci comme un pôle contraire ; l’une crée l’autre. L’Allemand a droit comme tout le monde à une patrie ; pas plus que personne, il n’a droit à la domination. Il faut observer d’ailleurs que de telles visées fanatiques ne sont nullement le fait de l’Allemagne éclairée. La plus complète