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les précède, et où braient des lampes funéraires. Attenant à cette salle est une série de chambres ou petits logemens surmontés de dômes, que la munificence des Juifs tient à la disposition des pèlerins de leur race. Une pratique bizarre se renouvelle tous les ans en mémoire des saints rabbins enterrés en ce lieu. A jour fixe, on se réunit en leur honneur, et l’on apporte des cachemires de prix, des robes de soie, de velours, quelquefois brodées d’or et d’argent, en un mot les plus riches vêtemens que l’on puisse se procurer. Après les avoir plongés dans un bain d’huile, on les brûle au-dessus de la tombe dans une cheminée en entonnoir, comme celles des vieilles maisons de Venise ; c’est une sorte de sacrifice, non sanglant il est vrai, mais qui produit une fort mauvaise odeur, et qui est censé honorer les deux savans morts. Un usage pieux beaucoup plus économique, très répandu dans tout l’Orient, connu même des Romains et des Grecs, c’est celui d’attacher, soit sur un tombeau, soit à un arbre sacré, des lambeaux de vêtemens ou quelquefois des fils de laine ; nous en avons vu en maint endroit, depuis certaines tombes d’Alexandrie jusqu’à un figuier d’Aphka, près de la source de l’Adonis, dans le Liban. En ce dernier lieu, il est très probable que cette pratique traditionnelle remonte aux premiers âges de l’histoire, et n’a jamais été interrompue. N’est-il pas étrange de voir des superstitions semblables se perpétuer non-seulement de génération en génération, mais de culte en culte ?

Meiroun est peu éloigné de Safed, une des quatre villes saintes du judaïsme moderne. Cette dernière n’est nommée ni dans l’Ancien-Testament ni dans le nouveau ; la Vulgate seule en fait mention dans le livre de Tobie : on l’a identifiée cependant avec la fabuleuse Béthulie de Judith. On avance sans preuves que Jésus l’avait en vue et peut-être la montra de la main quand il dit : « Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. » Or, selon Robinson, la ville n’a été bâtie que plus tard[1]. Il est certain au moins qu’on aperçoit Safed de tous côtés, à de grandes distances, surtout du lac de Génésareth et de ses rivages. Bâtie en amphithéâtre, elle a cruellement souffert en 1837 d’un tremblement de terre. Les maisons situées le plus haut s’écroulèrent tout à coup sur celles qui étaient plus bas et les effondrèrent. Aussitôt une véritable avalanche de murs éboulés et de toits arrachés roula d’étage en étage sur le flanc de la montagne, renversant tout sur son passage, accumulant ruines sur ruines, écrasant, dit-on, 4,000 personnes. La population de Safed est fort peu pittoresque ; j’y retrouvai parmi les hommes l’habitude assez singulière qu’ont les Juifs de Pologne de

  1. Biblical Researches in Palestine.