Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux épileptiques et aux idiots. C’est de Bicêtre considéré comme hospice de la vieillesse (hommes), ainsi que l’on dit en langage administratif, que nous nous occuperons dans cette étude. Plus tard, nous l’examinerons sous le rapport des aliénés et du traitement fort humain auquel ils sont soumis.


I

L’édifice est énorme. C’est un vaste château royal d’un style un peu froid, rendu incohérent par des adjonctions successives, mais qui, sur la colline qu’il occupe au bout de la belle avenue de marronniers qui y donne accès au grand air et s’étale majestueusement dans le paysage. Il domine et découvre Paris, qui, couché dans sa brume bleuâtre, apparaît comme une immense ville indécise et fantastique. Placé au sommet d’un coteau que continue une plaine sèche et pierreuse, Bicêtre a longtemps souffert de la soif ; il manquait d’eau, il n’y avait ni puits ni fontaine ; chaque jour, on allait chercher l’eau à la Seine, au port l’Hôpital, à peu près à l’endroit où s’élève aujourd’hui le pont d’Austerlitz. Une telle pénurie d’un des élémens indispensables à l’existence créait uni inconvénient assez sérieux pour qu’il ait été question au commencement du XVIIIe siècle d’abandonner une maison si mal située. Germain Boffrand fut chargé de faire des sondages et de reconnaître s’il n’existait pas dans l’enceinte même de l’établissement une source ou une nappe d’eau qui pût désaltérer la population de Bicêtre. Il se mit à l’œuvre en 1733, et en 1735 il avait creusé ce fameux puits dont la célébrité est universelle. C’est un immense puisard d’un aspect vraiment imposant. Lorsqu’on se penche au-dessus de la margelle, qui a 5 mètres de diamètre, on voit briller l’eau qui, à une profondeur de 58 mètres, paraît toute noire. Selon la saison, la nappe exploitable est de 3 à 4 mètres. Les 5 derniers mètres de l’excavation ont été creusés dans le roc vif ; tout le reste est maçonné au ciment romain. C’étaient les pensionnaires de Bicêtre qui jadis étaient condamnés à extraire l’eau nécessaire aux besoins de la maison. A cet effet trois brigades, composées chacune de 32 hommes pris parmi les indigens, les aliénés et les épileptiques, étaient sur pied jour et nuit. A l’aide d’un cabestan à huit branches, à chacune desquelles 4 hommes étaient attelés, on manœuvrait deux seaux contenant 270 litres, qui, montant et descendant, se faisaient équilibre dans la longue gaine de pierres. On arrivait ainsi à verser dans le réservoir 156,600 litres d’eau en vingt-quatre heures ; mais c’était au prix d’une peine excessive qu’augmentaient encore les attaques subites dont les épileptiques et les fous étaient souvent atteints. Cette méthode