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Toutes les pensionnaires qui ne sont pas retenues à l’infirmerie, soit au quartier des grandes-infirmes, soit dans leur dortoir respectif, par quelque indisposition, passagère, sont répandues dans les cours, dans les jardins, ou assises à l’ombre d’un immense quinconce, si touffu qu’il ressemble à un vrai bois, et qu’on appelle la Hauteur. C’est là qu’elles passent la plus grande partie de la journée à bavarder et surtout à médire les unes des autres.

Les cuisines de la Salpêtrière sont une curiosité ; celles de l’abbaye de Thelême devaient être ainsi. Avec les immenses fourneaux, les bassines de cuivre éblouissant, la rôtisserie active, les grandes tables où l’on découpe les viandes, les amas de légumes qu’on jette à la pelle dans les chaudières, avec les marmitons empressés et le chef grave qui attise les feux en jetant partout le coup d’œil du maître responsable, on pense involontairement aux apprêts de la noce du « riche Gamache. » La nourriture, qui nous a paru préparée avec soin, est distribuée dans des réfectoires ; on ne sert dans les dortoirs que les pensionnaires infirmes ou trop vieilles. Le repas qu’elles préfèrent toutes, ce n’est ni le dîner, ni le souper, c’est le déjeuner, qui cependant ne se compose que d’une tasse de lait chaud ; mais, moyennant 10 centimes, la cantine du marché leur fournit du café noir et deux morceaux de sucre, et elles peuvent alors faire « leur café au lait, » insipide boisson dont, toutes les femmes de Paris sont si friandes, au grand détriment de leur santé. C’est pour les habitantes de la Salpêtrière un tel besoin, qu’on ne le leur interdit jamais, même lorsqu’elles sont malades et réduites à la diète. Une femme portant un réchaud sur lequel pose une gamelle pleine de café passe littéralement sa journée à monter les escaliers, a entrer dans tous les dortoirs et à distribuer, contre paiement, la liqueur dont Mme de Sévigné avait prédit que le goût serait si tôt passé.

Les vastes dimensions de l’établissement ont permis d’y installer quelques services d’intérêt général, entre autres une buanderie et des ateliers de raccommodage. La Salpêtrière fait le blanchissage d’une partie des hôpitaux de Paris ; aussi la buanderie y est-elle organisée d’une façon supérieure. Autour de six bassins énormes, plus de deux cents femmes, placées dans des auges et dans des baquets, lavent le linge que nos maisons hospitalières envoient régulièrement. Il est inutile de s’appesantir sur ce qu’on voit là et sur les inconvéniens que présenterait un tel amoncellement d’alèses, de bandes, de chemises, de draps maculés, si les hangars sous lesquels on travaille n’étaient ouverts à tous les vents. On a pu y constater, pendant la dernière épidémie de petite vérole, combien les idées reçues sont parfois démenties par les faits. Il est