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eussent voulu que l’Angleterre, loin de lui donner asile dans les ports de ses colonies, se joignît à eux pour donner la chasse à ce redoutable corsaire. L’Alabama avait été construit dans un port britannique avec des circonstances telles qu’il n’avait échappé à la saisie que par un départ clandestin. Une fois armé et pourvu d’une commission de guerre, les ministres britanniques devaient-ils l’assimiler aux autres vaisseaux de la confédération ? N’étaient-ils pas tenus au contraire par le droit des gens à poursuivre cet écumeur des mers dont l’existence même était une violation flagrante des lois anglaises ? Ce ne fut pas l’avis du cabinet anglais, qu’approuve encore en cette circonstance M. Mountague Bernard. Il n’est pas douteux que l’Alabama eût dû être arrêté tandis qu’il était encore dans les eaux de la Mersey ; mais, dès qu’il était livré aux sécessionistes, ceux-ci, en vertu même du droit de belligérans qu’on leur avait reconnu, devenaient responsables des faits de guerre auxquels ce navire prenait part. S’attaquer à un seul navire porteur du pavillon confédéré eût été, quelle que fût l’origine de ce navire, une infraction à la loi de neutralité que la Grande-Bretagne avait proclamée.

Devait-on au moins refuser à l’Alabama l’accès des ports anglais ? Sur ce point, il importe de remarquer que l’admission des belligérans dans les ports d’une puissance neutre n’est autre chose qu’un acte d’hospitalité. Un bâtiment qui tient la mer depuis plusieurs mois peut se trouver contraint de relâcher parce qu’il craint de ne pas résister à un gros temps, parce qu’il a des avaries à réparer, ou, s’il marche à la vapeur, parce qu’il manque de charbon pour rallier son port d’attache. Les puissances neutres posent cependant quelques restrictions à l’exercice de ce droit d’hospitalité en vue d’en prévenir les abus. Un navire belligérant en relâche dans un port neutre n’a pas la licence d’y accroître son armement sous prétexte de réparations, et en outre il ne doit charger que la quantité de houille strictement nécessaire pour son voyage de retour. En somme, ce fut surtout la houille, paraît-il, qui fit défaut aux croiseurs confédérés, vaisseaux vagabonds qui ne rencontraient pas un port ami pendant la durée de leurs longues courses. L’Alabama par exemple s’en fit amener un chargement en plein Atlantique. Une autre fois il s’appropria le chargement d’une de ses prises ; ensuite il en obtint à Bahia, au Cap, à Singapore et enfin à Cherbourg avant d’entreprendre une lutte malheureuse contre le Kearsarge ; ce fut tout pendant une croisière qui dura dix-huit mois. Le ravitaillement en pleine mer est d’ailleurs une opération si aventureuse que les confédérés l’essayèrent rarement.

Outre la difficulté de se procurer de la houille et l’accueil