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La dépêche de M. Seward se terminait sur un ton cassant qui contrastait singulièrement avec le langage habituel de la diplomatie européenne. « J’observerai pour finir, disait-il, que les États-Unis et la Grande-Bretagne sont deux puissances de premier ordre. Les événemens des cinq dernières années ont démontré que leur harmonie est essentielle à la prospérité de l’une et de l’autre. Cette harmonie a été, suivant nous, rompue sans nécessité par la faute de la Grande-Bretagne, et il n’est pas le moins du monde probable qu’elle puisse être rétablie, si l’on ne concilie d’une façon satisfaisante et amicale les sujets de plainte très sérieux que vous devez signaler au gouvernement britannique. »

La réponse de lord Stanley était plus mesurée. Tout en exprimant un désir sincère de rétablir des relations cordiales entre les deux nations, il se déclarait incapable de faire des concessions qui seraient un blâme à l’adresse de ses prédécesseurs. A l’en croire, ni l’usage ni la loi internationale ne justifiaient la responsabilité pécuniaire que les Américains entendaient faire peser sur le gouvernement britannique ; mais, dans un sentiment de conciliation, il se déclarait prêt à déférer la question à un arbitre. Toutefois un point important resterait de toute nécessité en dehors de cette proposition d’arbitrage, à savoir le droit de décider si l’Angleterre avait eu tort ou raison de reconnaître aux insurgés la qualité de belligérans. Il n’y a pas de gouvernement en effet qui puisse s’abaisser au point de permettre qu’un souverain étranger ou une commission internationale soit chargé de porter un jugement définitif sur les actes qu’il a accomplis. Le cabinet de Washington ne voulut pas admettre cette distinction ; il était prêt à déférer la querelle à un tribunal d’arbitres, mais avec la condition expresse que ce haut tribunal envisagerait le litige sous toutes ses faces. La correspondance relative à cette proposition se prolongea durant toute l’année 1867, et prit fin sans avoir abouti à aucun résultat.

Le moment est venu maintenant de parler d’un autre sujet de discorde qui avait failli mettre l’Angleterre, et les États-Unis aux prises bien avant que la guerre de sécession n’eût éclaté. Il s’agit de la possession de l’île San-Juan, située sur la côte du Pacifique, entre le territoire de Washington et l’île de Vancouver.

Il y a vingt-cinq ans, il n’existait pas de limite bien définie entre les possessions de la Grande-Bretagne et celles de l’Union américaine dans l’ouest. La vaste contrée qui borde l’Océan-Pacifique, entre les rivières Columbia et Fraser, était un terrain de chasse que les compagnies anglaises et américaines se disputaient ; on le désignait sous le nom générique d’Orégon. Après de longues discussions, les deux puissances conclurent en 1846 le traité de