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Apia sont ceux des missionnaires catholiques ; Il est certain que ces derniers avaient, dans l’attaque du fort, couru les plus sérieux dangers, les pertes matérielles que la guerre avait fait éprouver à la mission, celles qui résultaient chaque jour du désordre, conséquence évidente de la guerre, étaient sûrement considérables ; mais fallait-il en faire peser la responsabilité sur les chefs indigènes, armés pour la plus juste des causes, et qui en définitive avaient fait les plus grands efforts pour ne pas entraîner les Européens dans leurs discordes civiles ? D’ailleurs Mgr d’Enos, alors présent à Apia, est un esprit trop élevé, ses vues sont trop hautes pour que des avantages matériels puissent lui faire oublier le but essentiel de l’œuvre à laquelle il a voué sa vie, — œuvre de charité, d’abnégation et de paix ; — pour rien au monde il n’eût voulu fournir un nouvel aliment aux passions qui s’agitaient autour de lui, et surtout, comme tant d’autres ne rougissaient pas de le faire, profiter de la triste situation de ce malheureux pays pour tirer avantage des pertes de la mission. Le commandant français de la Mégère, venu évidemment pour protéger au besoin les missionnaires français, n’eut donc aucune réclamation à faire valoir, et salua de ses canons le vieux Maliétoa, qui vint le visiter à son bord ; de plus, dans une assemblée des chefs, il les exhorta à prendre les mesures les plus promptes pour sortir de l’état d’anarchie où leurs discordes les avaient plongés, anarchie qui semblait accuser leur propre impuissance, et qui pouvait faire courir de grands dangers à leur patrie en justifiant une intervention étrangère. L’attitude de la corvette française ajouta encore aux espérances que le Kearsage avait fait concevoir aux chefs indigènes ; mais tout dépendait du commandant de la Blanche. Cette frégate mouilla dans la baie quelques jours seulement après le départ de la Mégère. Expédié par le gouverneur-général de l’Australie à la première nouvelle des événemens qui avaient ensanglanté les rues d’Apia, et sous l’impression du rapport de M. Williams, le commandant de ce navire avait pour mission d’examiner l’affaire du pavillon anglais, insulté si gravement au dire du consul, et d’exiger une réparation proportionnée à l’offense.

Sans vouloir rechercher ici sur quels élémens il appuya son enquête à ce sujet, la réserve constante dans laquelle il se tint vis-à-vis de M. Williams, le silence qu’il garda jusqu’à son départ en ce qui touchait l’insulte du pavillon anglais, montrent qu’il réduisit bien vite à ses justes proportions cet incident regrettable. Il lui parut sans doute, comme à tout le monde, provoqué par la conduite même du consul de sa nation, et il n’y vit que l’acte irréfléchi, inconscient, d’un enfant sauvage venu d’un des plus lointains districts de Sevaï,