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qui, n’ayant jamais peut-être vu d’Européens dans toute sa vie, ne pouvait savoir le caractère sacré que ceux-ci attachent à leurs drapeaux.

Les chefs indigènes, pour lesquels cette affaire avait été si longtemps un sujet d’anxiété, et qui avaient voulu en arrêter le cours en se soumettant à toutes les humiliations d’un ifoga solennel, comprirent à cette réserve, à ce silence, que, dans l’esprit du commandant de la Blanche, leur cause, c’est-à-dire celle de la justice et de la vérité, avait triomphé. Ils lui en témoignèrent leur reconnaissance par l’empressement qu’ils mirent à lui faciliter la seconde partie de sa mission : le règlement des indemnités que les sujets anglais et même les autres Européens réclamaient pour les pertes qu’ils avaient éprouvées pendant la guerre. Les étranges réclamations qui assaillaient les commandans des navires de guerre en mission dans ces pays montrent à quel arbitraire sont soumises les malheureuses populations de l’Océanie en face des Européens qui viennent s’établir parmi elles. Ces Européens n’étaient pas au reste d’obscurs marchands ignorans du droit ou poussés à le méconnaître par les exigences de la pauvreté, mauvaise conseillère ; c’étaient de riches négocians, et à leur tête les consuls, qui avaient fixé chacun à 8,000 piastres (40,000 francs) le chiffre de l’indemnité pour pertes subies pendant la guerre civile.

Ne voulant pas se prononcer sur la justice de ces réclamations, le commandant de la Blanche en laissa du moins l’arbitrage aux chefs samoans, et n’assista pas même à l’assemblée où ces réclamations furent discutées. Par un sentiment de reconnaissance bien naturel, les chefs samoans, justement charmés de cette modération, de cette confiance, auxquelles rien ne les avait jusqu’alors accoutumés, admirent en principe les demandes des Européens, mais réduisirent à 3,000 piastres le chiffre de l’indemnité à payer aux consuls. Ceux-ci durent s’en contenter, et la Blanche reprit le chemin de Sidney, ayant sans nul doute raffermi par la justice de son commandant l’influence de l’Angleterre, sérieusement compromise par les exigences arbitraires du consul qui la représente aux Samoa.

Les événemens que nous venons d’exposer n’ont certes qu’une importance relative ; mais, bien mieux que les plus longues considérations, ils nous semblent expliquer la nature des relations de l’archipel samoan avec les principales nations maritimes de l’Europe, en même temps qu’ils font connaître la situation intérieure de ces populations et les pressions diverses auxquelles elles obéissent. Cette situation semble d’abord une anarchie profonde où s’usent sans fruit les forces vives d’une race encore énergique, mais dont le caractère turbulent, cause première de cette anarchie, semble