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whig en Angleterre, et depuis 1688 ce parti était ardemment prononcé pour la guerre contre la France. Heinsius poursuivait la réparation de l’humiliation imposée à la Hollande dans une guerre précédente. Ce triumvirat était la coalition même ; il avait les pleins pouvoirs des souverains dont il dirigeait les armées. Il dicta les préliminaires, qui furent notifiés à La Haye, en 1709, aux plénipotentiaires du roi. Si Louis XIV les acceptait, on accordait une suspension d’armes. Les conditions de l’armistice étaient que la France reconnaîtrait l’archiduc Charles en qualité de roi d’Espagne, des Indes, de Naples et de Sicile ; on devait remettre à l’empereur Strasbourg, Brisach et Landau. La souveraineté de l’Alsace, sanctionnée par les traités de Nimègue et de Riswick, aurait été réduite au droit de préfecture sur la décapole, et l’on devait céder aux Provinces-Unies Cassel, Tournai, Condé, Lille et autres places de Flandre. C’était l’abaissement et l’humiliation de la France qu’on poursuivait plutôt que le rétablissement de l’équilibre européen, et Burnet, bien instruit des intentions des coalisés, assure qu’ils avaient concerté le dessein d’arriver par l’humiliation du roi au démembrement du royaume.

M. de Torcy revint à Versailles pour prendre les ordres du roi, qui rompit sur-le-champ les conférences de La Haye, et adressa immédiatement aux gouverneurs des provinces une proclamation destinée à faire connaître à la France la conduite qu’il avait tenue, et les exigences odieuses de ses ennemis. Cet appel à la nation produisit le plus grand effet ; malgré les souffrances qu’on endurait, on répondit par le dévoûment qu’inspirent l’amour de la patrie et le sentiment de l’honneur national outragé. Ce ne fut, dit Saint-Simon, qu’un cri d’indignation et de vengeance, mais la fortune trahit la France une fois de plus, et malgré l’héroïsme de notre armée nous perdîmes le champ de bataille de Malplaquet. Accablé par l’adversité, le roi demanda de nouveau la paix. Alors, tout à fait aveuglés par le succès, Marlborough, Heinsius et Eugène ne mirent plus de bornes à leurs prétentions. Ils acceptèrent des conférences qu’ils ouvrirent à Gertruydenberg en février 1710, non pour travailler à la paix, mais comme pour y jouir de l’humiliation du monarque, car aux exigences de La Haye ils en ajoutèrent de nouvelles, plus dures et plus inadmissibles. Si quelquefois on semblait se rapprocher, aussitôt de nouvelles difficultés se produisaient, qui détruisaient l’espérance acquise, et ne laissaient plus aucune chance à la paix. Il y eut un moment où le roi accordait tout ; alors on exigea que Louis XIV chargeât, lui seul et par ses seules forces, de contraindre à main armée la nation espagnole à l’expulsion de son petit-fils et à la reconnaissance de l’archiduc comme roi d’Espagne. Indigné de