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reine, et si la reine eût abandonné son ministère, ou si elle fût morte avant la paix, en 1712, comme elle mourut un an après, en 1714, le ministère était perdu, toute espérance pacifique avec lui, et les destinées de la France restaient plus que jamais compromises, car l’héritier de la couronne, l’électeur de Hanovre, était aussi prononcé que les whigs pour la continuation de la guerre.

De cette situation naissait donc pour le ministère tory la nécessité d’un double jeu, qui consistait à conduire la guerre avec une résolution apparente, pendant que sous main, et sans se compromettre avec ses alliés, il travaillait pour préparer la pacification. Ce double jeu, devenu désespérant pour Louis XIV, a duré jusqu’à la veille de la bataille de Denain, laquelle a donné ses franches coudées à lord Bolingbrooke, qui ne les avait pas jusque-là, malgré l’événement imprévu, heureux pour sa politique, de la mort de l’empereur Joseph Ier, survenue en avril 1711. Alors même, et quoique l’intérêt européen fût évidemment changé par le péril du cumul des couronnes de l’empire et d’Espagne sur la même tête, Bolingbrooke écrivait à un ministre de l’empereur le 24 juin : « Le plan que vous m’avez envoyé est tout à fait beau ;… mais songeons en premier lieu à pousser une guerre vive dans les endroits où elle est déjà allumée, etc… Par tout ce que le parlement a fait, je ne doute pas que vous ne soyez convaincu que cette bonne volonté ne se ralentira pas… » En effet, loin de ralentir son action contre la France, le cabinet tory avait au contraire imaginé, pendant l’été de 1711, d’envoyer une expédition et une flotte contre les possessions françaises du Canada. On désirait sans doute la paix, mais aux meilleures conditions, et pour cela il fallait réduire la France sur tous les points. Par bonheur, l’expédition contre le Canada échoua totalement, et les vaisseaux anglais ne purent rendre sur le Saint-Laurent les services qu’on en attendait.

La reine Anne participait elle-même à ce double jeu en donnant tout à la fois des assurances aux jacobites contre l’électeur de Hanovre, qu’elle détestait, en écrivant à l’archiduc prétendu roi d’Espagne : « Je ne consentirai jamais à une négociation sans qu’il soit établi et cédé par la France en préliminaire que la monarchie d’Espagne serait rendue tout entière et sans démembrement[1], » assurance qu’elle avait donnée aussi de sa main à l’empereur Joseph, tandis qu’elle autorisait son ministère à faire des ouvertures secrètes à la cour de France pour l’engager à demander de nouveau la paix, promettant d’appuyer cette fois des propositions raisonnables auprès des Hollandais et des impériaux ses alliés. Ces

  1. Voyez Arneth, Prinz Eugen, tom. II.