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« J’ai employé toute la journée, monsieur, à examiner, et moi-même et par d’autres, tous les endroits par où l’on peut attaquer les ennemis. C’était MM. d’Albergotti, Geoffreville et de Coigny qui étaient auprès de moi, lorsque j’eus l’honneur d’écrire, hier au roi. J’ai prié ces messieurs d’aller reconnaître eux-mêmes tout ce qui pouvait nous rendre une attaque possible en passant la Sambre. M. de Coigny la croyait plus difficile ; néanmoins il est persuadé, aussi bien que M. de Geoffreville, que l’on peut y donner une bataille avec un avantage assez égal. (Le reste de la lettre est chiffré, ce qui prouve l’importance que Villars attachait au secret dont il s’agissait. On peut croire qu’il rappelait au roi que c’était sa dernière bataille.

« J’ai été voir d’un autre côté, ajoutait-il, comment nous pourrions attaquer le camp de Denain, à quoi l’on n’a pu songer que dans le temps que nous éloignions l’armée ennemie de l’Escaut, car, lorsqu’elle y avait sa droite, on ne pouvait le tenter avec aucune apparence de succès. Je compte donc faire demain toutes les démarches qui pourront persuader l’ennemi que je veux passer la Sambre, et je tâcherai d’exécuter le projet de Denain, qui serait d’une grande utilité. S’il ne réussit pas, nous irons par la Sambre. Je suis assez bon serviteur du roi pour garder la bataille pour le dernier. Elles sont, comme vous savez, dans la main de Dieu, et de celle-ci dépend le salut ou la perte de l’état, et je serais un mauvais Français et un mauvais serviteur, si je ne faisais les réflexions convenables. »


Le lendemain 22, Villars mandait à M. Voysin une nouvelle dépêche qui dut augmenter les anxiétés de Louis XIV, et qui prouve combien étaient mobiles les péripéties de la situation :


« J’avais l’honneur de vous mander hier, monsieur, que je devais faire attaquer le camp retranché de Denain : c’était à M. le marquis de Vieux-pont et au comte de Broglie que je donnais cette commission ; le premier avait déjà reconnu la marche et fait ses dispositions. M. de Tingry (commandant de Valenciennes) devait aussi agir de son côté ; mais, sur une de ses lettres écrite ce matin, ces deux messieurs ont jugé l’entreprise impossible. J’en suis très fâché ; mais, quand ceux-là refusent, je n’irai pas offrir cette commission à d’autres. Cette affaire ne pouvant s’exécuter, j’ai marché à la Sambre ; l’armée la passera dès que tous les ponts seront préparés. Les ennemis ont marché dès qu’ils nous ont vus ébranlés ; ils ne nous ont pas cherchés dans les plaines de Cambrai. Il est possible qu’ils en usent de même ici, et en vérité les situations leur sont bien favorables… Je ne vous dépêcherai pas de courrier demain, s’il ne se passe rien qui le mérite. »


Évidemment Villars voulait se ménager sa liberté complète pour cette journée du 23 où il devait prendre une résolution décisive.