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à Landrecies, qu’examinant sérieusement la situation, avec le maréchal Montesquiou, ce dernier lui-même revint au projet de marcher sur Denain, et que les deux maréchaux concertèrent ensemble l’exécution de l’entreprise. Une rapide marche de nuit, sans repos ni sommeil, et une audacieuse attaque le lendemain, devaient décider du sort de la France. « Nous n’appelâmes à notre conseil, dit Villars, que les officiers de détail (d’état-major) qui nous étaient absolument nécessaires : Contades, Puységur, Beaujeu, Monteviel et Bongard. Le succès dépendait de tromper si bien le prince Eugène, qu’il crût que nous en voulions à la circonvallation de Landrecies, et qu’il rapprochât ses principales forces de la place pendant que nous porterions toutes les nôtres sur Denain, et non-seulement de tromper le prince Eugène et son armée, mais encore la nôtre, et même les officiers-généraux, qui ne devaient être instruits qu’au moment de l’exécution. »

Le secret fut admirablement gardé, et c’est, paraît-il, ce qu’on admira le plus à Versailles. Tout se fit comme on l’avait réglé. Villars étendit ses hussards sur les avenues de Bouchain et sur les bords de la Selle, afin qu’aucun déserteur ne pût passer du côté des ennemis et nul d’entre eux du nôtre ; toute son attention parut se porter sur Landrecies. Il envoya le comte de Coigny préparer les ponts sur la Sambre, et lui ordonna de se pourvoir d’un grand nombre de fascines, et de les faire porter le plus près de la circonvallation qu’il serait possible, afin qu’on les trouvât sous la main quand on voudrait attaquer. Partez, lui dit Villars, allez à toutes jambes, afin que ces préparatifs ne souffrent aucun retard. Moyennant ces soins et d’autres, rendus très publics, l’opinion s’établit dans l’armée que l’on devait certainement attaquer le siège ou l’armée d’observation, et « j’eus le plaisir de voir, ajoute Villars, que le prince Eugène rapprochait la plus grande partie de son infanterie sur ces points, et affaiblissait d’autant la communication avec Marchiennes. »

Ainsi fut employée la journée du 23. Vers le soir, les marquis d’Albergotti et de Boussolles, lieutenans-généraux, se rendirent chez le maréchal de Villars, et le premier lui représenta que l’honneur qu’il avait de commander l’infanterie l’obligeait de lui dire qu’on allait tenter une entreprise trop dangereuse, que, s’il en croyait le succès possible, le bonheur qu’il aurait d’avoir une grande part à cette action le porterait à la désirer ardemment, mais qu’il ne pouvait croire qu’elle pût réussir. Villars lui répondit seulement : Allez vous reposer quelques heures, monsieur d’Albergotti, demain, à trois heures du matin, vous saurez si les retranchemens des ennemis sont aussi solides que vous le croyez.