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du bon cuisinier ont fait passer à la postérité leur souvenir, attaché à la recette de la financière.

Le Bredouille de Regnard, dans la Critique du Légataire universel, a mérité aussi son brevet d’invention. On lui doit les poulardes aux huîtres, les poulets aux œufs, les sarcelles aux olives. Ce financier bredouille en parlant : Regnard, non plus que Molière, ne dédaigne aucun moyen comique ; mais en mangeant il ne bredouille pas, et peu de fourchettes attaquent un aloyau avec autant de courage que la sienne. Regnard était un peu financier lui-même, et il mourut d’une indigestion. Bredouille aurait pu être de ses amis, un ami dont il se serait amusé, et il lui prête d’ailleurs assez de bon sens, puisqu’il en fait un partisan et un défenseur de sa pièce.

Baron est un peu plus agressif, il a imaginé pour son financier dans la Coquette et la Fausse prude le nom caractéristique de Basset, qui est resté. Voltaire s’en est souvenu dans sa Prude. Bien qu’il n’ait pas mis sur la scène un financier (il était trop bien avec eux), mais un simple caissier, voici le portrait qu’il fait du manieur d’argent :

Gros, court, basset, nez camard, large échine,
Le dos en voûte, un teint jaune et tanné,
Un sourcil gris, un œil de vrai damné.

On retrouve ce nom dans les Mœurs du jour de Collin d’Harleville, qui l’a donné à une espèce d’agioteur. Baron, bien inférieur par le talent à Dancourt, était beaucoup plus comédien que poète dramatique. Il faisait des pièces, comme la plupart des acteurs, avec sa mémoire, et enfilait au bout les unes des autres des situations dont il avait constaté le succès. La connaissance des planches lui tenait lieu d’art dramatique. Ce secret est maintenant divulgué, et beaucoup d’auteurs y excellent autant que les comédiens de la plus heureuse mémoire. La Coquette de Baron, composée de morceaux de rapport, n’a d’autre mérite que la double esquisse d’un conseiller, M. Durcet, et d’un financier, M. Basset. Ce dernier fait sa cour à la coquette en ouvrant son coffre-fort : il ne s’arrête pas à la bagatelle. C’est lui qui prête l’argent dont on paie les soupers et les media-noche, espèce de réveillons dont la mode était venue d’Espagne. Il ne diffère donc pas des précédens. Ni lui ni les autres ne sont de méchantes gens : on peut les définir les amphitryons universels.

À ce titre, on les tolère et l’on se contente d’en rire. Les choses se passaient dans le monde comme dans la comédie. La noblesse trouvait que les dîners et l’argent des financiers avaient du bon : la comédie se bornait, comme la noblesse, à s’amuser de leur grossièreté mal effacée, de leur luxe prétentieux, de la vanité qu’ils