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les emprunts sur bijoux des cultivateurs égyptiens. Avec cette garantie, ils ont trouvé de l’argent à 4 ou 5 pour 100.

Ce n’est cependant ni en Turquie ni en Égypte que la difficulté d’emprunter est arrivée à la dernière limite. Aux États-Unis, dans le sud, le taux de 18 à 24 pour 100 a été dépassé après la guerre, lorsque les planteurs ont voulu réorganiser le travail. Ils n’ont trouvé et ne trouvent encore aujourd’hui de l’argent qu’à 2, 3 et même 4 pour 100 par mois, c’est-à-dire à 24, 36 et même 48 pour 100 par an. Dans les états de l’ouest aussi, les fermiers paient l’argent fort cher, jusqu’à 15 pour 100 sur hypothèque. Toutefois, si l’empire ottoman et les États-Unis d’Amérique souffrent du même mal, la situation des deux pays tient à des causes bien différentes. Tandis que la Turquie se débat dans une langueur peut-être incurable, l’Amérique du Nord est occupée à panser les blessures de la guerre civile. C’est la convalescence d’une nation robuste qu’une violente secousse a ébranlée, mais dont les forces renaissent à vue d’œil. L’argent est cher aux États-Unis parce que toutes les industries se le disputent, et qu’il ne peut pas répondre aux nombreuses demandes que lui adresse l’esprit d’entreprise. Quoique la richesse acquise y soit très abondante, elle reste cependant au-dessous de l’activité de ce peuple. Dans les pays en décadence au contraire, le capital se loue cher à cause de sa rareté absolue, et bien que l’activité industrielle n’y soit que fort peu développée. L’intérêt y est d’autant plus élevé que la demande vient surtout de prodigues qui s’endettent. Or les débiteurs de cette espèce paient d’autant plus cher qu’ils n’inspirent pas confiance, et que d’ailleurs ils ne prennent même pas la peine de discuter les conditions de leurs engagemens.


II

Si nous étions en présence d’un besoin universellement ressenti, on ne s’expliquerait pas comment des institutions ne se seraient pas formées pour le satisfaire. Quel autre exemple pourrait-on citer d’une discordance aussi complète entre les faits et le désir général ? Pourquoi surtout cette antinomie entre les aspirations et la réalité se serait-elle produite en France, précisément dans un pays où l’agriculture occupe le premier rang parmi les industries ? Or non-seulement il ne s’est pas formé d’établissemens spéciaux prêtant aux agriculteurs, mais le patronage du gouvernement n’a même pas eu en cette matière le succès qu’il obtient d’ordinaire pour les œuvres qu’il recommande. C’est ce que prouvent les comptes-rendus du Crédit foncier et du Crédit agricole. Dans l’espace de quatorze