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d’une maison de rapport, la fondation d’un commerce ou l’amendement d’un bien. Si le crédit hypothécaire a plus que tout autre la spécialité de ruiner un débiteur, c’est qu’ordinairement il est la ressource des débiteurs qui s’adonnent aux dépenses improductives. La position du fermier est bien différente. Pourvu que son entreprise soit conçue et conduite avec intelligence, il peut retirer de 9 à 10 pour 100 de son capital d’exploitation. Supposons que, sur une ferme de 200 hectares valant 400,000 francs, il soit établi avec un outillage de 150,000 francs en bestiaux et machines, la rente payée au propriétaire, à raison de 4 pour 100, sera de 12,000 francs. Cette somme et les frais de culture payés, il restera au fermier, pour le profit de son industrie, 13,500 francs à 9 pour 100 et 15,000 francs à 10 pour 100. Ainsi, dans une ferme bien tenue, la part du cultivateur peut être supérieure à celle du propriétaire. Évidemment, si, au moment de commencer son entreprise, le fermier n’avait pas les ressources nécessaires pour donner à sa culture toute l’extension dont elle est susceptible, il pourrait utilement recourir au crédit, car, en empruntant à 5 et 6 pour 100 pour une opération qui lui rapportera de 9 à 10, il ne courra pas le risque d’être dévoré par l’écart entre l’intérêt et le produit de son industrie. Peut-être une année le profit sera-t-il au-dessous de l’intérêt, mais il se relèvera les années suivantes, et, sur une période de dix ou de quinze années, le fermier pourra légitimement espérer une moyenne de 9 à 10 pour 100. C’est le résultat que nous avons souvent constaté sur les livres de plusieurs exploitations dans les départemens de grande culture. Le crédit hypothécaire est donc ruineux pour le propriétaire qui veut payer les annuités avec la rente foncière, mais le crédit agricole peut au contraire être profitable au fermier qui emprunte pour monter ou compléter son outillage.

Cette distinction est applicable au propriétaire qui fait valoir. Quoiqu’ils profitent à la même personne, la rente foncière et le bénéfice agricole doivent être séparés par le cultivateur qui tient à se rendre compte de ses affaires. Le propriétaire qui cultive son bien a pour emprunter des facilités particulières, car il peut user du crédit hypothécaire pour étendre sa culture, tandis que le fermier est réduit au crédit personnel. Aussi avons-nous vu que dans l’enquête plusieurs déposans ont demandé que le matériel agricole pût être engagé sans déplacement, ce qui serait la généralisation d’une disposition faite spécialement en 1851 en faveur des banques coloniales. Les mêmes personnes ont conclu à l’extension, en faveur des fournisseurs d’engrais, du privilège que la loi accorde au créancier qui a prêté les semences. Cette innovation, selon leur opinion, fournirait à l’agriculteur une sûreté réelle au moyen de laquelle il pourrait obtenir l’avance la plus utile à sa récolte.