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millions pour l’année 1867. Le rôle de cette compagnie est d’endosser les billets du cultivateur qui donne, suivant le degré de solvabilité qu’on lui connaît, sa signature, celle de sa femme ou celle d’un tiers, même quelquefois, des garanties hypothécaires. Ces billets sont transmis au Crédit agricole, qui les passe à la Banque, dont le taux d’escompte est le régulateur du loyer de l’argent. C’est assez dire que les prêts de la société de Melun ne sont ni gratuits ni à bon marché. La compagnie ajoute en effet une commission de 2 pour 100 au taux de l’escompte de la Banque. Si l’escompte n’est qu’à 3 pour 100, le cultivateur de Seine-et-Marne emprunte à 5 pour 100 ; mais il paie 10 et 11 pour 100 lorsque la Banque élève son taux à 8 et 9 comme elle est autorisée à le faire depuis 1857. Même à ces conditions cependant la société rend des services à l’agriculture du pays, ce qui-prouve que le crédit n’a aucune préférence pour la profession des emprunteurs, et que, toutes choses étant égales, elle prête à l’agriculture aussi bien qu’au commerce. Un changement d’habitudes sous le rapport de la régularité des paiemens aurait certainement, pour le développement du crédit agricole, plus d’efficacité que l’extension des sûretés réelles aux emprunts des cultivateurs.

Il resterait encore entre l’agriculture et le commerce une différence qui ne pourrait pas être effacée, parce qu’elle tient à la nature des choses. On n’a pas assez remarqué que presque toujours les agriculteurs traitent au comptant. Les ventes, pour la plupart, se font dans les foires et marchés entre personnes qui ne se connaissent point, et le vendeur retourne chez lui emportant son argent. Entre commerçans au contraire, les opérations se font le plus souvent à terme, d’où la création d’un titre représentatif du prix d’achat. Eh attendant que l’échéance arrive, l’effet peut être cédé, endossé, escompté. L’acquéreur à terme souscrit un billet ; c’est la première signature. La deuxième est fournie par le vendeur, qui endosse avant l’échéance, et le nouveau porteur y appose la troisième quand il passe l’effet à la Banque. Au contraire l’agriculteur qui emprunte n’offre que sa signature (il y ajoute quelquefois des avaliseurs ou cautions), parce que la manière dont il traite ses affaires ne donne pas ordinairement lieu, à des endossement successifs. Les titres qu’il met en circulation n’ont pas, comme ceux du commerce et d’e l’industrie, de contre-valeur dans les opérations antérieurement réalisées. Dans l’industrie, l’affaire qui donne lieu à l’ouverture du crédit précède la création de l’effet, tandis que, dans la pratique agricole, elle ne vient qu’après l’acte d’emprunt. Aussi le prêteur à découvert ne tient-il compte que de la valeur des signatures, et dans le1 commerce le capitaliste prend en considération là qualité des affaires qui ont donné lieu à la création du billet à ordre ou de la lettre de change.