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Admettons, ce qui n’est pas, que l’émission du papier de banque soit équivalente à une augmentation subite du numéraire ; il ne faudrait pas se féliciter des effets que produirait cette création. On a souvent et avec raison fait observer que cet accroissement soudain pourrait causer les plus grandes perturbations dans la situation des particuliers. Il diminue la fortune des créanciers et accroît la position des débiteurs en permettant à ces derniers de s’acquitter avec de la monnaie qui, sous l’expression de la même valeur nominale, n’a qu’une puissance d’acquisition inférieure à celle qu’elle avait au moment du prêt. Lorsque ces renversemens se produisent naturellement, toute plainte serait illégitime ; mais si, au lieu d’avoir pour cause l’exploitation des richesses que la nature a mises à la disposition de l’homme, ces revers étaient le résultat de combinaisons financières mal conçues, ceux qui seraient dépouillés par cette œuvre d’intention philanthropique auraient de justes griefs à faire valoir.

Les économistes qui soutiennent la liberté des banques couvriraient leur doctrine en disant que, sous ce régime, l’émission des billets ne pourrait pas dépasser les besoins de la circulation, parce que, toutes les opérations se faisant librement, les émissions suivraient le mouvement normal du commerce et de l’industrie. Il n’y aurait ni spoliation, ni privilège, et, sans rien préjuger sur la grande question de la liberté des banques, au moins faut-il convenir que cette théorie est bien liée dans toutes ses parties. Or les projets dont nous nous occupons consistent tous à créer des établissemens privilégiés, à donner un rival à la Banque de France et à multiplier la monnaie de papier en chargeant une banque agricole de le fabriquer en concurrence avec la banque précédemment instituée ; mais il est facile de prouver que cette concession n’aurait pas les mêmes effets dans les deux cas. Dans le commerce, la quantité des émissions a pour limite naturelle le nombre des affaires, et, le remboursement ayant lieu à trois mois, les effets jetés dans la circulation rentrent à l’établissement qui les a créés, de sorte que les billets sont ramenés par une cause permanente, et que la fabrication est tenue constamment en bride. Une banque agricole au contraire ne pourrait prêter qu’à découvert pour une période assez longue, et, l’émission marchant avec les demandes d’emprunt, qui sont illimitées, la circulation des billets de banque prendrait un développement indéfini qui serait fort dangereux, car de longs prêts feraient sortir des presses des billets en plus grande quantité que les remboursemens n’en feraient rentrer. Si en 1848 le billet put être imposé au pays, bien que dans les trois quarts de nos départemens il ne fût pas en usage, c’est qu’indépendamment