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son armée. Son système est aussi simple que dur et s’exécute avec autant d’ordre que de sévérité. Elle pose en principe que la guerre doit nourrir la guerre, que le territoire envahi doit payer à lui seul les frais de la campagne. Elle ne se demande pas si cela est juste, admis dans le code des nations civilisées, ni même si cela est possible, si les populations peuvent suffire à tant de charges. Il lui faut de l’argent pour ses troupes, elle l’exige, et elle donne vingt-quatre heures pour le trouver. Les malheureux habitans de Nancy ne nourrissent pas seulement les soldats qui passent ou qui séjournent chez eux ; ils fournissent aussi régulièrement tous les jours 36,000 rations de pain pour l’armée prussienne qui assiège Metz, particulièrement pour le parc d’artillerie d’Ars-sur-Moselle. Le blé vient-il à manquer, l’intendance prussienne y pourvoit, en fait venir d’Allemagne, et ne demande à Nancy que de le moudre, à le cuire et de le payer ! 3 ou 4 millions en un mois, c’est-à-dire 100 ou 130,000 francs par jour sont ainsi sortis de la poche des habitans. L’argent manque-t-il à son tour, les Prussiens offrent gracieusement à un banquier de la ville un sauf-conduit pour aller contracter au dehors un emprunt à la charge de la municipalité. Enfin ils couronnent leur ingénieux système d’exploitation en exigeant de tous les Lorrains un impôt unique, qui comprend à la fois les impôts directs et indirects, les droits de timbre et d’enregistrement, qui sera payable par douzième à partir du 6 octobre prochain, et qui représentera pour les propriétaires une contribution trois fois plus élevée que celle qu’ils payaient au trésor français.

Peut-être la ville de Nancy pourra-t-elle à force de sacrifices suffire à cette dernière exigence ; mais comment les paysans supporteront-ils, après tous leurs désastres, une charge si lourde ? La campagne en effet a infiniment plus souffert que la ville. Les soldats, plus dispersés, plus éloignés des chefs supérieurs, y observaient une discipline moins sévère, y commettaient plus de méfaits isolés, y abusaient davantage du droit du plus fort ; puis après les soldats venaient les maraudeurs qui suivent toujours une grande armée, et qui enlèvent aux malheureux campagnards le peu que leur ont laissé les premiers. Beaucoup de villages ont été ainsi dévalisés pour satisfaire les besoins réels des troupes ou l’esprit de rapine des envahisseurs. Il y a des fermiers auxquels on a tout pris, leur blé, leur avoine, leurs chevaux, leurs vaches, leurs moutons, leur basse-cour. Eux-mêmes, on les emmenait souvent, on les forçait à conduire au campement des Prussiens leurs propres dépouilles avec leur propre attelage. Il ne leur reste aujourd’hui que les quatre murs de leur maison, lorsque le caprice d’un uhlan ou la négligence d’un fumeur n’y a pas mis le feu. C’est la misère et la famine dès