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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 septembre 1870.

Depuis que nous sommes entrés dans cette tragique aventure de la guerre, les épreuves ne nous ont pas été épargnées ; elles se sont succédé avec une intensité et des redoublemens tels que plus d’une fois on a pu se demander, sans paraître tomber dans un excès d’optimisme, si la mauvaise fortune n’allait pas enfin se lasser. On ne pouvait pas croire à cette implacable fatalité d’une invasion dévastant nos provinces, s’avançant jusqu’au cœur de la France et menaçant de submerger une civilisation florissante. Nous avons eu une obstination d’espérance égale à l’obstination du malheur. Il a bien fallu se rendre à la triste évidence. Chaque illusion a été suivie de croissans mécomptes, à chaque effort de confiance ou à chaque révolte de patriotisme ont répondu de nouveaux revers, Sedan après Wœrth et Forbach, et de déception en déception nous voilà conduits en moins de deux mois, comme dans un rêve sinistre, à cette douloureuse extrémité, à ce siège de Paris, qui est maintenant commencé.

Paris assiégé, cerné, investi, séparé du reste du monde, qui l’aurait dit, qui aurait pu le croire ? C’est cependant un fait. Depuis près de quinze jours, l’ennemi campe autour de nous. Versailles, la ville royale, est devenue le quartier-général des chefs de l’invasion, et le palais de Louis XIV sert d’hôtellerie au roi Guillaume ? Les Prussiens se promènent sur la ferrasse de Meudon et sur les hauteurs de Saint-Cloud, ils sont à Saint-Germain et à Montmorency, comme à Sceaux et à Fontenay, préparant leurs batteries ou cherchant une issue pour pénétrer à travers nos défenses. Ils ont coupé nos communications, nos chemins de fer, nos télégraphes ; leurs cavaliers courent la campagne, interceptant tout rapport, de sorte que depuis quelques jours Paris vit littéralement en lui-même, se suffisant par ses propres ressources, ne sachant plus guère s’il y a sous le ciel une Europe qui ait quelque souci des affaires de la civilisation et de l’humanité, ne communiquant avec le reste de la France