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que par des ballons à travers les airs ou par de hardis messagers qui franchissent les lignes prussiennes. L’extrémité est nouvelle et dure assurément. Il n’y a qu’une compensation dans cette suite d’épreuves dont le siège de Paris est le fatal couronnement, c’est que la France, délivrée de ceux qui l’ont étourdiment conduite dans ces hasards, rendue à elle-même dans un jour d’angoisse patriotique, n’a plus eu à consulter que sa propre inspiration, et a senti son courage renaître comme dans un accès désespéré, en mesurant la profondeur de l’abîme où on l’avait précipitée. Elle a laissé éclater son âme dans ce mot de défense nationale qui dès la première heure a couru à la surface du pays. On peut bien essayer d’éteindre ou de neutraliser cette électricité patriotique en interceptant les communications, en isolant Paris le plus possible, en empêchant nos forces de s’organiser ou de se rejoindre. Ce sont là, nous ne le contestons pas, des difficultés de plus dans une situation douloureuse. Ce qui est certain, c’est qu’on a maintenant affaire non plus à un gouvernement amolli et hébété, mais à une nation réveillée par le malheur, qui ne veut que se défendre, à une nation dont l’âme palpite, agitée d’un sentiment unique, partout à la fois, dans nos murs où une population tout entière attend virilement sous les armes le choc dont on la menace, dans ces villes de Lorraine et d’Alsace qui résistent à tous les assauts d’un cœur si fidèle et si intrépide, au camp de Bazaine comme dans toutes les autres provinces encore intactes, pour qui le siège de Paris est l’image émouvante des périls de la patrie, et d’une violence sans exemple tentée contre l’unité nationale et morale de la France.

La dernière illusion à laquelle on se soit laissé aller un moment dans ces quelques heures qui ont précédé l’investissement définitif de Paris, — et cette illusion était un peu permise, — c’est que de la situation nouvelle créée par la révolution du 4 septembre pouvait peut-être sortir encore une suprême chance de paix. Le gouvernement qui avait déclaré la guerre et qui la conduisait comme on vient de le voir par les papiers secrets trouvés aux Tuileries, ce gouvernement n’existait plus ; il avait disparu dans une explosion de ressentiment public, et la France vaincue, mais redevenue maîtresse de ses destinées, ne cachait pas ses dispositions pacifiques. Sans se dissimuler sa défaite, sans en décliner les conséquences dans la mesure de l’équité, elle prétendait seulement réserver ces deux choses dont on ne trafique pas dans une négociation : son honneur et son intégrité, et cette courageuse déclaration de paix, elle la faisait lorsqu’après tout, malgré la présence des Prussiens sur notre sol, nos forces n’étaient point épuisées, lorsque Strasbourg, Toul, Verdun, Montmédy, Phalsbourg, tenaient encore vaillamment, lorsque Paris attendait l’ennemi de pied ferme, prêt à opposer une formidable défense. De son côté, l’Allemagne n’avait certes plus rien à craindre pour son indépendance et pour son unité. Elle sortait de la lutte intacte et