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rassurait peut-être un peu ironiquement. « Soyez tranquille, lui disait-il, vous voilà populaire, et plus que vous ne le pensez. Enfin, s’il y avait maintenant deux hommes à choisir dans la rue par acclamation, pour faire un président de la république, vous seriez un des deux. — Peut-être bien, répondit Lamartine, si l’on avait à en prendre dix. » Sainte-Beuve maintenait son chiffre de deux, et au fond Lamartine pensait peut-être que, quand même on n’aurait qu’un homme à choisir, il serait celui-là. Il était prêt. Il avait fait tout ce qu’il fallait pour se mettre à la disposition de la fortune ou d’une révolution dont il ne connaissait, il est vrai, ni l’heure ni la date.

C’était vers 1847, disais-je. Lamartine avait fait du chemin depuis ces jours de 1830 où il avait vu avec chagrin disparaître la royauté de sa jeunesse, et même depuis ces luttes de 1839, de 1840, où il défendait encore une monarchie qu’il ne considérait que comme une institution de nécessité et de préservation. Longtemps il avait paru rester dans les liens d’une éducation toute conservatrice dont il gardait les habitudes, les traditions, le ton et le langage. Il ne dévoilait que peu à peu les pensées nouvelles qui germaient dans son esprit, qui grandissaient dans son imagination, et c’est tout au plus si dans un jour de hardiesse mesurée, dans une saillie inoffensive, il se laissait aller à dire que la France avait besoin d’être occupée ou distraite. Longtemps il avait paru n’aspirer qu’à un rôle tout moral d’influence et de pacifique initiation. Maintenant tout était changé. Il ne disait plus seulement : « La France s’ennuie ! » il disait : « La France s’attriste ! la France s’inquiète ! » il avait des mots bien plus cruels encore pour caractériser la marche des choses et des programmes qui impliquaient de radicales transformations. A défaut du parlement, où il ne pouvait trouver, un écho, il cherchait une force, un appui dans les spectacles excitans de l’histoire ou dans les libres émotions de l’opinion extérieure. Ce n’était plus un éloquent dissident de l’armée conservatrice, c’était visiblement un ennemi.

Il ne faut pas dépasser le vrai. Lamartine n’était point sans doute un fauteur vulgaire de révolution, ce n’était point un conspirateur ; jamais nature d’homme ne répugna plus que la sienne aux conspirations, aux actions occultes ou violentes. Il affectait même de se tenir en dehors de cette campagne des banquets qui commençait alors ; il refusait d’aller présider plusieurs de ces réunions où il était convié. « Le rôle de courrier national ne me convient pas, écrivait-il à un de ses amis ; je voudrais m’en tenir à Mâcon, où je ne puis rien refuser, et aux villes où je réside par hasard… » Même dans celles de ces réunions où il assistait, comme ce banquet de Mâcon où, au