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ou dans les défilés des Vosges. Les Alsaciens et les Lorrains de la montagne ne demandaient que des armes. On leur en a longtemps refusé. Le premier soin du gouvernement nouveau a été de leur en donner. Ils en font, ils en feront un usage patriotique. Si le tunnel de Saverne a été détruit, comme on l’annonce, comme nous avons de bonnes raisons de le croire, ce sont eux qui inquiètent ainsi les derrières de l’armée prussienne. Leur patriotisme ne se bornera pas à cet exploit. Avant la fin de la guerre, nous entendrons parler plus d’une fois des francs-tireurs vosgiens.

La chaîne des Vosges, même après tous nos malheurs, même après la prise de Strasbourg, offre encore une admirable ligne de défense pour des guérillas agiles qui sillonneraient la montagne, sans bagages, sans artillerie, qui tomberaient sur les convois de l’ennemi, fusilleraient les uhlans derrière les buissons, et couperaient à chaque instant les communications du gros de l’armée avec les corps isolés. Les Prussiens n’occupent pas toute la montagne, et, quel que soit leur nombre, ne peuvent même aujourd’hui en garder tous les chemins. Pour ne pas s’éparpiller sur un immense espace, ils paraissent n’avoir songé jusqu’ici qu’à se maintenir à une des extrémités de la chaîne, entre Bitche et Saverne. Ils gardent ainsi deux lignes de chemin de fer, et maintiennent leurs relations avec l’armée qui assiégeait Strasbourg ; mais au-dessous de Saverne, entre Saverne et Béfort, s’étend la partie la plus haute et la plus escarpée de la chaîne des Vosges. C’est là qu’un général américain, après le désastre de Sedan, conseillait à nos généraux de jeter une armée par Lyon, par Vesoul, par Besançon, tant que Strasbourg, Phalsbourg et Bitche tenaient encore, tant que les Prussiens ne pouvaient employer à la garde des défilés que des forces insuffisantes. La prise de Strasbourg rend malheureusement disponible une partie des troupes qui assiégeaient la ville. Cependant il serait encore possible, par un effort énergique, de tourner ou de forcer Saverne et de pénétrer vers Bitche, dans le département de la Moselle. C’est même là le seul espoir qui nous reste de rentrer en communication avec le maréchal Bazaine. Le jour où l’armée de Metz entendrait le bruit de notre fusillade, peut-être son intrépide général, en laissant derrière les remparts, sous la garde des forts, ses bagages et son artillerie, parviendrait-il à porter toutes ses forces d’un seul côté, à faire une trouée à travers les lignes prussiennes et à gagner la montagne. Une fois là, il serait invulnérable. Quel beau théâtre les Vosges ne lui offriraient-elles pas pour une guerre analogue à la campagne du Mexique, pour une guerre d’escarmouches, d’embuscades, de surprises où l’on éviterait les grands engagemens, où l’on userait et détruirait l’ennemi en détail !