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témoignage, il a voulu atteindre derrière les remparts la population civile, et il a même espéré que les maux qu’il lui ferait souffrir la décideraient à capituler. Vains calculs d’un esprit plus familiarisé avec les choses de la guerre qu’avec les secrets mouvemens du cœur humain ! L’observation psychologique lui eût appris au contraire que les hommes s’attachent à leurs idées et à leurs biens en raison même des souffrances qu’ils endurent pour les défendre, qu’on a quelquefois parlé de capituler dans une ville assiégée avant le bombardement, mais que, le bombardement commencé, on ne capitule plus.

Les horreurs que nous allons retracer maintenant éveillent dans l’âme un sentiment d’autant plus pénible que nos ennemis eux-mêmes sont forcés d’en reconnaître l’absolue inutilité. Leur cruel calcul s’est retourné contre eux. La mutilation et la ruine de Strasbourg n’ont pas avancé d’une heure la reddition de la place. Au lieu d’abattre les courages, comme le présumait l’assaillant, tant d’actes barbares accomplis gratuitement, poursuivis de sang-froid pendant plusieurs semaines, ont au contraire excité dans toute la population le plus grand désir de se défendre et exaspéré la résistance. Ce fut le 15 août au soir que les habitans de la ville assiégée subirent la première attaque. Comme c’est l’usage durant les belles soirées d’été, la foule remplissait les rues, attendant avec impatience les nouvelles du dehors, mais plus disposée à l’espérance qu’à l’inquiétude, lorsque des sons stridens fendirent l’air et annoncèrent le passage de quelques projectiles. Le lendemain, on apprit avec indignation que la cathédrale avait servi de point de mire aux artilleurs ennemis, que deux femmes avaient été tuées et plusieurs enfans écrasés dans leur lit par des éclats d’obus. Contrairement aux lois les plus sacrées de la guerre, cet essai de bombardement n’avait point été signifié aux assiégés. Les Allemands prétendirent qu’ils avaient voulu célébrer à leur manière la fête de l’empereur et tiré un feu d’artifice en l’honneur du 15 août. Le général Uhrich, outré qu’on tournât en plaisanterie un tel acte d’inhumanité, déclara que, dans le cas où le feu de l’ennemi serait encore dirigé contre les habitations, il commencerait le bombardement de Kehl. Il tint parole, et les jours suivans, quelques maisons ayant été brûlées dans Strasbourg, il couvrit d’obus la ville allemande de l’autre côté du Rhin.

Jusqu’au 23 août, les assiégeans firent peu de mal à la place assiégée. Ils ne se servaient encore que de leur artillerie de campagne : leurs pièces de siège n’étaient pas arrivées ; mais le 24 au soir, lorsque celles-ci furent mises en position, ils ouvrirent contre la ville un feu terrible. Cette nuit-là, entre neuf heures du soir et six