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En terminant la douloureuse histoire du siège de Strasbourg, on se demande nécessairement à quoi sert au vainqueur une telle victoire, ce qu’il en espère, quels profits matériels en compenseront pour lui le dommage moral. Si, contre notre espoir et contre la volonté unanime de la France, la Prusse gardait l’Alsace, elle y aurait excité un ressentiment implacable, elle aurait attaché aux flancs de l’Allemagne une Pologne ou une Vénétie. Si au contraire, comme nous l’espérons, l’Alsace reste française, quels sentimens de bon voisinage existeront désormais entre les Allemands, destructeurs de Strasbourg, et les habitans de la ville détruite ? L’Allemagne paie d’ailleurs son succès un trop haut prix pour ne pas le regretter un jour. Elle y perd en même temps l’estime du monde civilisé, et, ce qui ne vaut pas moins, sa propre estime. Nous en faisons juges ces écrivains spéculatifs, ces savans, ces philosophes, dont les idées libres et fortes nous inspiraient une opinion si favorable de la civilisation de leur pays, nous représentaient une Allemagne intelligente, ouverte au culte du beau, supérieure aux préjugés vulgaires, consciencieusement occupée d’affranchir l’esprit humain des superstitions vaines et de résoudre par la science tous les problèmes de la nature. Ceux-là conviendront avec nous que la guerre vient de déchaîner chez leurs compatriotes des sentimens inattendus, des passions qui nous ramènent à la barbarie d’un autre âge. Est-ce la peine d’ouvrir des écoles dans toutes les communes, de ne compter qu’un illettré sur 100 habitans, d’encourager et d’honorer partout les travaux de l’esprit, de favoriser la spéculation désintéressée, de doter avec magnificence tous les établissemens d’instruction publique, d’entretenir les universités les plus savantes et les plus studieuses de l’Europe, pour recommencer dans le monde le rôle d’Attila et pour continuer les barbares ?


A. MEZIERES.