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d’Eure-et-Loir par exemple, en 1852, l’on comptait 984,000 têtes de moutons ; en 1862, avant que le nouveau régime économique eût pu y exercer une influence appréciable, ce nombre s’était abaissé à 819,000, et nous savons que depuis il n’a pas cessé de décroître, sans avoir toutefois des données exactes sur la diminution de ces dernières années[1]. Or il y a trois choses que la grande culture demande au mouton : ces trois choses sont la viande, l’engrais et la laine ; nous les plaçons ici dans l’ordre d’importance qui doit, suivant nous, leur être assigné. On sait ce qui se passe partout où la ferme est doublée d’une usine : le troupeau consomme les déchets de la sucrerie ou de la distillerie. De l’automne au printemps, il s’en engraisse ; pendant cinq ou six mois s’accumule dans la bergerie un précieux fumier, puis toutes les bêtes qui paraissent en état d’être vendues sont livrées à la boucherie. Dans ces conditions, à supposer que les moutons n’eussent jamais porté de laine et qu’on ne connût pas le produit des toisons, pensez-vous qu’on eût négligé comme insignifiant ou nul le profit que donnent les troupeaux soit en viande, soit en fumier ? Mais, sans nous arrêter à cette hypothèse, nous pouvons mesurer assez facilement le dommage qu’a causé aux chefs d’exploitations rurales la dépréciation des laines. Plusieurs personnes, et notamment M. Carette, en ont déjà fait le calcul. Prenons pour exemple une ferme de 150 hectares, où sont nourries 500 bêtes ovines qui fournissent chacune par année de 4 à 5 kilogrammes de laine en suint. Le cours moyen des laines depuis vingt ans a été de 2 francs 05 centimes[2] ; avec nos prix actuels de 1 franc 40 centimes le kilogramme (soit une baisse d’environ 30 pour 100), la différence sur chaque toison, évaluée à un poids de 4 kilogrammes 500 grammes, est de 2 fr. 90 cent., ce qui donne une perte totale de 1,450 francs, autrement dit, une perte de 9 francs 65 centimes à l’hectare. « Nous le demandons, dit M. Carette, la moindre baisse sur le cours des céréales, des graines oléagineuses, des racines, ne produit-elle pas des conséquences bien autrement graves pour le budget de la ferme ? » En 1863, au concours de la Villette, M. le ministre de l’agriculture estimait à une valeur de 15 milliards la somme totale des récoltes de la France. Il y avait là quelque exagération sans doute, et 12 milliards sont le chiffre classique ; mettons 10 milliards seulement pour ne point risquer de dépasser la vérité. Or, dans cette immense

  1. Pour nos provinces les plus méridionales, il convient de noter aussi une autre cause de la diminution des troupeaux ; c’est une maladie, la cachexie aqueuse, qui les décime depuis quelques années.
  2. C’est l’estimation de M. Carette ; elle nous parait un peu basse, et nous dirions plutôt que le cours moyen a été de 2 francs 15 centaines ; mais il importe peu, et cette différence de 19 centimes ne change presque rien au calcul.