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décembre 1710) de mettre bas les armes à Brihuega devant Philippe V avec un corps de 6,000 Anglais, et cet événement avait fait en Angleterre une vive sensation, augmentée encore par la nouvelle qui suivit la bataille de Villaviciosa (10 décembre), où l’armée autrichienne, déjà vaincue à Almanza par le maréchal de Berwick, fut de nouveau et plus complètement battue par le duc de Vendôme. La nation espagnole était révoltée qu’on la comptât pour rien dans la disposition de sa souveraineté, et qu’on traitât à La Haye ou à Gertruydenberg la question de savoir qui régnerait à Madrid. Elle avait eu jadis des griefs égaux contre tous les prétendans, parce que tous l’avaient blessée par les partages anticipés que l’on connaît ; mais depuis qu’elle avait adopté le duc d’Anjou, la cause de ce jeune prince s’était confondue avec celle de l’indépendance nationale, et il faut reconnaître qu’il se montra digne de la vigueur déployée pour le soutenir. Philippe V gagna des batailles pendant que son aïeul en perdait, et il s’affermit dans la lutte pendant que Louis XIV semblait y succomber. Le bon état dans lequel sa constance et ses généraux avaient mis ses affaires ne fut pas sans influence sur le rétablissement de celles de son aïeul.

La défaite des armes anglaises et autrichiennes dans la péninsule fit donc à Londres une impression d’autant plus profonde qu’on y attachait plus d’importance à la guerre d’Espagne proprement dite. Le marché espagnol était perdu pour l’Angleterre, et au bénéfice de la France, qui trouvait dans ses traités de commerce avec Philippe V d’utiles compensations à ses infortunes. D’autre part, l’Espagne, d’après le témoignage même d’une pétition adressée par le conseil d’état des Provinces-Unies aux états-généraux (13 novembre 1711), « depuis que le duc d’Anjou était monté sur le trône,… avait commencé de se relever de la grande décadence où elle était tombée après la paix de Vervins, sous ses trois derniers rois, et avait fourni plus de troupes qu’elle n’avait fait auparavant pendant cinquante années. » L’Angleterre et la Hollande au contraire, malgré leurs victoires, étaient depuis longtemps presque aussi épuisées que la France. Une paix avantageuse à ces deux puissances aurait pu être faite en 1709 ou 1710 ; au lieu de cela, une guerre ruineuse continuait. Les cabinets de Vienne, de La Haye et de Londres poursuivaient une lutte à outrance, et la résistance désespérée à laquelle on avait poussé la France et l’Espagne portait déjà ses fruits dans ce dernier royaume, et menaçait de nous ramener la victoire dans les Flandres. En 1711, l’énergie de notre armée avait suspendu l’invasion sur tous les points. La France jouait sans doute sa dernière partie, mais un succès éclatant pouvait en un jour la remettre à flot. Lord Bolingbroke, doué d’un esprit vif et pénétrant, jugea