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deux ans seulement, et qui fut aussi en grand danger, de sorte que Philippe V, oncle du nouveau dauphin, n’était séparé du trône de France, où l’appelait le droit du sang, que par un prince en bas âge et d’une santé chancelante. Cette situation fit naître de sérieuses réflexions dans les cabinets étrangers et compliqua la négociation d’Utrecht. Le ministère anglais dut y porter une sollicitude d’autant plus vive que l’opposition en tirait argument pour rétorquer les objections des tories contre le cumul des couronnes par rapport à la maison d’Autriche. M. de Torcy manda au ministère anglais que le roi persistait dans la résolution de concourir par d’efficaces mesures à prévenir cette réunion des couronnes. Quelles étaient ces mesures ? Il y eut doute un moment, puis les Anglais proposèrent l’idée d’une renonciation de la part du roi d’Espagne, ce qui, le cas échéant de la mort sans descendans du dernier rejeton de Louis XIV, appellerait au trône les branches cadettes de la maison de Bourbon, les d’Orléans et les Condé, à l’exclusion de la branche espagnole. De nombreuses dépêches furent échangées à ce sujet entre les cabinets et les plénipotentiaires.

Mais voilà qu’un mémoire confié par M. de Torcy à l’abbé Gautier remit le cabinet anglais dans l’embarras. « On s’écarterait du but qu’on se propose, était-il dit dans cette note, si l’on contrevenait aux lois fondamentales du royaume. Suivant ces lois, le prince le plus proche de la couronne en est héritier nécessaire. Il succède non comme héritier, mais comme le monarque du royaume, par le seul droit de sa naissance. Il n’est redevable de la couronne ni au testament de son prédécesseur, ni à aucun édit, ni à aucun décret, ni enfin à la libéralité de personne, mais à la loi. Cette loi est regardée comme l’ouvrage de celui qui a établi toutes les monarchies, et nous sommes persuadés en France que Dieu seul la peut abolir. Nulle renonciation ne la peut donc détruire, et si le roi d’Espagne donnait la sienne pour le bien de la paix et par obéissance pour le roi son grand-père, on se tromperait en la recevant comme un expédient suffisant pour prévenir le mal qu’on se propose d’éviter[1]. » C’était, comme on le voit, la théorie pure du droit divin de l’ancienne légitimité. Mise en face de la doctrine de la souveraineté pratiquée par les Anglais, elle surprit et effraya lord Bolingbroke. M. de Torcy, homme pratique, ajoutait que le plus sûr expédient était de s’en tenir au testament du roi d’Espagne Charles II, d’après lequel, le cas advenant de la réunion héréditaire des deux monarchies, le roi d’Espagne devait opter entre la couronne de France et celle d’Espagne, et cette dernière couronne devait passer par voie de substitution, soit à une autre branche

  1. Voyez la Correspondance de Bolingbroke, édition originale, t. II, p. 222.