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précieux à cause des produits qu’il fournissait à l’industrie et au commerce, le castor, le plus gros de nos rongeurs, était abondant dans toute la France et dans une grande partie de l’Europe jusque dans le moyen âge. De nos jours, son existence est presque problématique. Depuis plusieurs siècles, on ne l’a vu que sur les rives du Rhône ou sur les bords de quelque affluent du grand fleuve, et les rares individus observés dans leur solitude, loin d’être l’objet d’une protection spéciale, ont toujours été massacrés. Récemment, paraît-il, une petite famille de castors fut découverte dans une île du Rhône ; c’était une bonne fortune, c’était l’espérance de voir renaître dans le pays une espèce à peu près éteinte. Tout a été détruit sans pitié ; une pareille ineptie est possible chez un peuple civilisé où les coupables n’ont pas-même conscience de leur méfait. Actuellement les castors ne sont guère plus communs dans les autres parties de l’Europe qu’ils ne le sont en France, et partout leurs os, enfouis dans la vase et dans les tourbières, restent les témoins de ces sociétés qui étaient une merveille de la vie animale. Au Canada, des castors presque semblables à ceux de l’Europe étaient encore fort répandus à une époque peu ancienne ; ils sont également devenus fort rares. La destruction s’est opérée avec une rapidité extrême par suite de l’avidité des grandes compagnies qui s’étaient formées au siècle dernier dans l’Amérique du Nord pour le commerce des pelleteries.

La destruction poursuivie d’une manière insensée n’a pas atteint seulement les mammifères terrestres, elle a été portée avec plus de fureur encore sur les espèces marines. Les grands animaux de la mer étaient la source d’une industrie active, d’un commerce considérable ; l’égoïsme, l’amour du lucre, qui font oublier l’avenir pour le moment présent, ont tari la source. Les baleines donnaient lieu aux pêches les plus fructueuses il y a moins d’un siècle, et ces énormes cétacés sont maintenant d’une telle rareté, que la pêche est abandonnée par la plupart des peuples qui s’y livraient autrefois avec profit. On ne se contentait pas de s’emparer des vieux individus, les jeunes sujets d’une valeur insignifiante étaient pris par les baleiniers aussi bien que les adultes. La satisfaction de ne pas laisser à d’autres la possibilité de faire une bonne capture deux ou trois ans plus tard était trop forte pour qu’on songeât que la fortune s’épuiserait bientôt pour tous les pêcheurs de baleines.

La rytina, un cétacé herbivore du groupe des lamantins et des dugongs que les habitans des côtes appellent des vaches marines, était commune dans les parages des îles de Bering il y a quelques centaines d’années. L’animal, qui atteignait une taille d’environ cinq mètres, offrait de grandes ressources aux peuples du nord et surtout aux Esquimaux ; la chair fournissait un aliment très